Au moment où tous les regards sont tournés vers l'Irlande, la Commission européenne et le Conseil Européen organisent en toute discrétion un nouvel étage de gouvernance économique.
Dans un document intitulé « Renforcer la coordination des politiques économiques », la mise en place de ce que la commission européenne appelle « le semestre européen de coordination des politiques économiques » vise avant tout à s’assurer que tous les pays étranglés par la crise choisiront bien l'austérité plutôt qu'une hausse d'impôt visant les plus riches et le capital…
Ce dispositif consiste à consacrer le premier semestre de chaque année à l'étude et à l'appréciation, par des institutions non démocratiques, des stratégies budgétaires nationales. Ainsi, le Conseil, sur la base d'un rapport de la Commission, émettrait en début d'année des recommandations dites « horizontales » (par groupes de pays) sur des grandes orientations de politique budgétaire. Orientations qui devraient être suivies par les États membres dans la confection de leurs programmes de stabilité et de politique budgétaire.
Une fois ces programmes communiqués par les États membres, la Commission rendrait un avis public sur les programmes nationaux. Puis, des négociations informelles seraient menées entre les États et la Commission européenne. Enfin, le Conseil rendrait son avis sur chaque programme national au plus tard fin juillet.
L'élaboration des budgets par les Parlements nationaux interviendrait au cours du second semestre et serait forcée de prendre en compte les observations et recommandations émises par des institutions européennes.
Il ne s'agit, selon l'UMP et le Parti Socialiste, que d'une simple coordination à l'échelle européenne. Mais l'écran de fumée se dissipe vite lorsque l'on sait que les injonctions de la Commission se baseront sur des critères tout à fait discutables et éminemment idéologiques comme le coût du travail, la réforme systémique des retraites, le prix des actifs financiers ou encore les niveaux d'imposition.
Ce dispositif, inconnu de tous, a pourtant été validé définitivement par le Conseil européen le 29 octobre dernier et a d'ores et déjà donné lieu à modification du code de conduite relatif aux programmes de stabilité. Ce contrôle politique a priori s'imposera à la France dès janvier 2011 !
Un principe de la République attaqué
Le semestre européen a été vendu au titre du volet préventif mais la Commission ne cache pas qu'il est souhaitable d'exercer une influence directe sur les choix budgétaires nationaux et les politiques de chacun des pays.
Or en France, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, comporte un article XIV en vertu duquel « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ». Le principe dit « du consentement des citoyens à l'impôt » a été l'un des catalyseurs les plus puissants de la naissance du système parlementaire Anglais et de la Révolution Française. C'est contre les Rois qui levaient et disposaient de l'impôt que se sont construites les révolutions en Europe.
Ce que tente de faire aujourd'hui la commission, en s'attribuant une compétence nationale, est une attaque majeure contre un principe fondamental de notre République. Bien entendu, le transfert de compétences au profit de l'échelon européen a déjà été autorisé. Mais il a toujours été rendu possible par une modification de la Constitution, c'est-à-dire par une convocation et une ratification du Congrès, donc de la souveraineté du peuple. Cela a été le cas par exemple pour le traité de Maastricht en 92, pour la ratification du traité d'Amsterdam en 97 et, bien entendu, pour le traité de Lisbonne en 2007.
En l'état actuel, la Constitution autorise le transfert de compétences prévu par le traité de Lisbonne ou par les traités antérieurs mais en aucun cas celui de compétences non prévues.
Pour éviter que les peuples puissent une fois de plus exprimer massivement leur rejet des politiques libérales, la solution trouvée est de... modifier directement le traité de Lisbonne ! Cela est permis si les modifications sont jugées « limitées ». Du coup on se trouve dans la situation où le Président du Conseil, H.Van Rompuy affirme qu'il s'agit « de la plus grande innovation » et de l'autre qualifie le processus de « limité ».
Ainsi, le semestre européen n'est pas un élément isolé. Il s'insère dans une dynamique idéologique libérale globale qui prévoit également de renforcer la discipline budgétaire en passant à un système de sanctions automatiques, à une surveillance des équilibres macroéconomiques et à rendre la Commission européenne plus indépendante encore des Etats et du pouvoir politique…
Photo Flickr-cc : parlement européen par gwenflickr (http://www.flickr.com/photos/piaser/4684901970/)
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