Mardi, nous avons emmené les élèves de seconde et de première au cinéma pour voir le film "Entre nos mains".
L'histoire est celle d'une entreprise de lingerie française en redressement judiciaire que les salariés vont décider de reprendre en la transformant en coopérative de production (SCOP). Le film part de la naissance de ce projet qui suscite des doutes chez les ouvrières jusqu'à la finalisation (je ne dévoile pas la fin car il y a des rebondissements^^) en passant par la contre-proposition de l'ancien dirigeant.
Voici quelques pistes d'analyse et quelques échanges avec les élèves.
D'abord la bande annonce
A / les choix de la réalisatrice Mariana Otero
Lorsqu'on utilise un document, nous cherchons à faire comprendre aux élèves qu'il faut se poser des questions sur la façon dont il a été élaboré (la légende d'un graphique, les unités, les indicateurs utilisés). Ici, même démarche, l'objectif est de faire prendre conscience qu'il y a des choix qui ont été réalisé par Mariana Otero.
Les élèves ont été un peu déroutés par la "forme" du film: pour eux, c'est un "documentaire" au sens où il retraçe "la réalité".
1/ Quelles différences (en dehors de la durée) peut-on faire entre un reportage TV (comme Capital ou Envoyé Spécial) et ce film.
Dans cette oeuvre, il n'y a pas de données chiffrées ni de voix-off qui explique les mécanismes économiques, le film est surtout centré sur un point de vue (celui des ouvrières) alors qu'un reportage aurait cherché à apporter plus de précisions (l'histoire de l'entreprise, la stratégie de la direction, le contexte économique local et plus global...)
2/ La réalisatrice a fait les choix artistiques suivants, comment les justifiez-vous ?
=> les ouvrières sont filmées en plan large sur leur lieux de travail / les gros plans sont réservés aux réunions
Il s'agit de montrer chaque personne dans son travail. Un élève a été très sensible à "l'environnement sonore" des ateliers. Charles Chaplin dans les "Temps Modernes" avait lui aussi mis l'accent sur cet aspect en mettant une musique stressante sur les scènes où Charlot visse les boulons, ce qui contrastait avec le silence absolu régnant dans le bureau de la direction. D'autres élèves ont souligné "le désordre apparent" des ateliers avec les multiples boites de rangements dans les rayons.
Pour les gros plans sur les visages, c'est un moyen pour le spectateur d'observer les diverses réactions (voir B) au moment des discussions.
=> l'ancien patron est hors champ (il n'apparait jamais)
Deux intreprétations possibles ont été trouvées: ce choix est cohérent avec le projet de raconter la création d'une SCOP puisque ce type d'entreprise symbolise en quelque sorte l'effacement du patron et de sa fonction.
Mais le fait que l'ancien patron n'apparaisse pas à l'écran montre également qu'il demeure présent dans tous les esprits (impression qu'il tire un peu les ficelles en étant masqué)
B / l'analyse des réactions des ouvrières face au projet de création d'une SCOP
1 / Voici 4 réponses données par les ouvrières à la question "Acceptez-vous de mettre au moins un mois de salaire dans le projet ?"
(a: oui)
(b: j'hésite, je ne sais pas)
(c: j'attends et si cela marche, j'accepte)
(d: je ne communique pas publiquement ma réponse)
Que révèle chacune de ces réponses sur la façon de se représenter sa place par rapport aux autres et par rapport à l'entreprise ?
a: je participe, je crois au projet de l'entreprise, j'agis, j'ai confiance dans les autres)
b: plusieurs interprétations possibles:
-1- une ouvrière fait le raisonnement suivant: ce mois de salaire,je pourrais le placer "ailleurs" (épargner et / oiu consommer): c'est un raisonnement en terme de coût d'opportunité !
-2- je suis juste une salariée: donc j'apporte ma force de travail, c'est déjà suffisant, je risque de tout perdre si cela ne fonctionne pas: mon emploi et l'argent apporté.
c: proche du comportement du passager clandestin: je veux jouer si je gagne , donc pas de prise de risque ni de coût. D'ailleurs, ce choix provoque des tensions puisque cette ouvrière est plus ou moins mis à l'écart au début (elle se retrouve seule à la cantine^^)
d: c'est une décision privée, ce qui peut être interprétée de deux façons: soit elle n'est peut être pas bien assumée soit il s'agit au contraire d'une volonté d'être autonome, de ne pas subir de pression ou de ne pas faire pression sur les autres)
2/ Les relations sociales dans l'entreprise, les valeurs du monde ouvrier
a / Quelles valeurs apparaissent dans ces propos ?
Le mari qui fait remarquer à sa femme (ouvrière) que l’argent qu’elle a reçu au titre de l’intéressement ne lui appartient pas vraiment car « elle ne l’a pas gagné de ses mains »: la valeur travail. Seul le travail me permet d'exister, il est source des revenus....alors que le bénéfice devrait aussi être le résultat du travail des salariés, l'ouvrier pense qu'il ne lui appartient pas vraiment (aliénation chez Marx)
« Je suis entrée chez starissima à la puberté et je la quitterai à la ménopause » dit avec ironie l’une des ouvrières : attachement à l'entreprise qui n'est pas qu'un lieu de travail mais aussi un lieu de vie personnelle.
« on n’est que des ouvrières » : complexe d'infériorité de celui qui a intériorisé sa domination
b / les relations sociales ont-elles changé lorsque le projet de SCOP est validé ?
Effectivement, les ouvrières remarquent que, avant, il y a avait peu de communication entre les différents groupes ("clans") qui composaient l'entreprise.
Ensuite, davantage de contact se manifestent mais tout n'est pas aussi simple puisqu'une des ouvrières déclare: "on ne nous dit peut être pas tout dans les réunions (...) Maintenant qu'on a mis de l'argent, on s'intéresse plus à nous"