Simon Boccanegra – la vie est un labyrinthe

Publié le 28 octobre 2010 par Europeanculturalnews

Simon Boccanegra à Strasbourg (c) Photo: Alain Kaiser


Keith Warner, l’un des plus importants metteurs en scène britanniques du moment, a mis en scène Simon Boccanegra, actuellement à l’affiche à Strasbourg. Marc Clémeur a invité Warner afin que ce dernier mette en scène cet opéra de Verdi à l’Opéra National du Rhin. Cette représentation est une nouvelle perle à ajouter au collier des productions montées sous la direction de Clémeur.

Les productions se succédant les unes aux autres avec une précision inégalable, on a presque l’impression que Clémeur trouve les partenaires pour ses entrées au répertoire comme on déniche une aiguille dans une botte de foin à l’aide d’un aimant. Tant et si bien que même si on n’avait pas l’occasion de voir toutes les représentations, on serait parfaitement capable de deviner qu’elles ont été créées à Strasbourg. Richard III, Jenůfa ou Macbeth, pour nommer quelques entrées au répertoire de la dernière saison, ont précédé Boccanegra de Verdi. Elles étaient toutes, sans exception caractérisées par un décor minimaliste et concluant ainsi que par une analyse profonde des différents caractères.

Warner a appliqué exactement le même principe dans sa mise en scène de cette œuvre qui raconte la vie et la mort de l’ancien doge de Genève. Originaire de Corse, Boccanegra, avec l’aide de quelques amis complotants, a réussi à gagner l’élection pour devenir doge. Mais cette victoire politique ne fait pas son bonheur. Ironie du sort, Jacopo Fiesco, l’ancien ennemi mortel de Boccanegra élève la fille de ce dernier. Il se trouve qu’il est le grand-père de la jeune fille mais il  ignore les liens familiaux qui les lient et porte toujours le deuil de cette petite fille qu’il croit disparue. Verdi a volontairement rendu cette histoire très compliquée. D’ailleurs, beaucoup de gens ne la comprennent pas immédiatement.

Elle raconte les expériences que font les hommes en traversant différentes périodes de leur vie. Des choses qui peuvent paraitre si claires à un certain moment sont déformées au fil de temps et deviennent parfois méconnaissables. Parfois, notre mémoire les transforme totalement ou les nie en les oubliant. Très souvent, cet opéra est réduit à sa simple teneur politique. Chez Warner, l’œuvre garde bel et bien cet aspect politique, mais son intérêt principal n’est pas là: qu’est le pouvoir, comment le renverse-t-on, et comment le remet-on en place ? Et surtout, de quelle façon les hommes gèrent ce pouvoir qu’ils détiennent ?  Le devoir leur permet-il d’avoir une vie personnelle ? Sont-ils conscients d’avoir des vies humaines entre leurs mains ? Ce sont des questions de vie, des questionnements profonds, qui ne se posent pas que pour les hommes politiques directement en charge de l’administration d’un pays. Ces questions se posent aussi à ceux qui occupent des positions charnières qui les relient aux décideurs. Warner pose toutes ses questions en rapport avec Simon Boccanegra.

Paolo Albiani, chanté par Roman Burdenko avec une voix puissante, est d’abord un ami de Boccanegra. A la fin de la pièce, il est le pire de ses ennemis. Il n’arrive pas à faire la différence entre la soi-disant défaite dans sa vie privée et sa position officielle qui est très proche du pouvoir.

Les personnages de l’opéra de Verdi ne sont ni tout blancs ni tout noirs. Au contraire : ils agissent selon leurs possibilités, en fonction du temps et de leur état respectif. Ils aiment et haïssent en même temps, ils jurent fidélité éternelle et n’ont pas peur de tuer. Ils condamnent et gracient et ils montrent très clairement, chacun à sa façon, ce que cela signifie que d’être un homme.

Le décor est signé Boris Kudlicka. Il forme un accord parfait avec les costumes et emmène le spectateur aussi bien dans l’Italie du 15e siècle que dans un environnement d’une grande pureté architecturale contemporaine. Des complets gris de businessman côtoient des costumes de renaissance. Ces tenues sont portées par des hommes, dont les désirs, les espoirs, dont l’amour et la haine n’ont pas changé à travers les siècles. Le trône de Boccanegra et celui des Grimaldi ressemblent à des tabourets miniatures qui rappellent de petites sculptures contemporaines. Initialement, ils sont de couleurs différentes. Mais au moment même où Boccanegra reconnaît sa fille qu’il croyait disparue, les trônes ont des couleurs identiques. C’est un exemple illustrant le langage des images chez Warner. Au commencement, le palais de Fiesco est richement orné par des fresques de Pierro della Francesca de la Camera degli sposi de Mantoue. Au fil du temps, cette splendeur petit à petit disparait,  jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. Fiesco et Boccanegra ont beaucoup changé au cours de leur vie. Plus rien ne rappelle leur passé resplendissant. Mais dans leur misère, dans leur impuissance et dans leur désillusion, ils sont comme éclairés de l’intérieur. Une grandeur intérieure leur permet de pardonner et de transmettre le pouvoir de façon ordonnée à la génération suivante.

« Simon Boccanegra », cette œuvre un peu atypique pour Verdi, comporte un grand nombre de courts passages de Belcanto. Le spectacle de Strasbourg est un véritable enchantement: non seulement grâce à la mise en scène parfaitement réussie, mais aussi grâce à la superbe distribution vocale plus que convaincante. A la tête de l’ensemble, Sergey Murzarev dans le rôle de Boccanegra et Michael Ryssov dans celui de Fiesco, sont du même niveau. Le baryton et le basse ont une prestation aussi bonne dans les passages rapides que pendant les passages lyriques, leur expression correspond parfaitement au livret. Les ovations enthousiastes du public sont justifiées. Le ténor clair et limpide d’Andrew Richards est en même temps le merveilleux symbole d’un avenir plein de lumière. Andrew Richards porte les cheveux longs et a une courte barbe soignée. Sa tenue est simple et, dans le dernier tableau, magnifique. Ce personnage nous rappelle les peintures de Jésus par les Nazaréens. Du pur hasard ?

Nuccia Focile dans le rôle de Marie essaie de faire vocalement face à ses partenaires masculins. Elle est convaincante dans son interprétation de la jeune femme traumatisée dans son enfance par la mort de sa belle-mère. Plus tard, elle doit se rendre à l’évidence que son noble amoureux peut également être un traitre.

L’Orchestre Symphonique de Mulhouse, sous la direction de Rani Calderon, joue de longs passages en suivant la partition comme s’il s’agissait d’une musique de chambre. Calderon interdit pratiquement tout vibrato aux instruments à cordes. L’accompagnement des cantatrices et chanteurs ne prend que rarement des inflexions romantiques. Mais cela va  le sens de la représentation et souligne parfaitement la mise en scène de Warner : Regardez et écoutez ! Laissez-vous guider par votre savoir, mais aux moments clé de votre vie n’oubliez pas d’être humains !

Vous trouvez d’autres renseignements en suivant le lien : www.operanationaldurhin.eu

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker