N'avez-vous pas déjà remarqué que l'étude de l'histoire est bien plus attrayante dans un ouvrage orné de nombreuses gravures que dans un livre où le texte aligne uniformément et sans interruption ses lignes noires ?
Et n'avez-vous pas déjà constaté que les héros dont vous appreniez les hauts faits vous sont devenus familiers dès qu'on a présenté leurs traits à votre vue, ou que vous avez pu connaître, grâce aux illustrations qui parsèment le récit, le milieu dans lequel ils vivaient.
Eh ! bien imaginez maintenant qu'au lieu d'avoir sous les yeux ces personnages perpétuellement figés dans des attitudes immuables auxquelles les meilleurs dessins ne peuvent les soustraire, vous les voyiez évoluer devant vous dans un cadre grandios et admirablement reconstitué. Vous comprendrez aussitôt que, vous trouvant mêlés pour ainsi dire à leur existence, vous gardiez d'eux-mêmes et de leur époque un souvenir plus précis et qui ne s'effacera jamais de votre mémoire.
C'est une semblable "leçon" que vous offre en ce moment (janvier 1913) le théâtre du Châtelet. On y représente une pièce très amusante, intitulée le Roi de l'Or, de notre collaborateur Henry de Gorsse, où l'on assiste aux aventures ahurissantes d'un certain Joseph Pépin lancé à la poursuite d'un précieux papyrus que son maître archéologue Horace Bonnenfant, lui confia pour qu'il le traduisît, et qui lui a été dérobé. Le hasard de ses pérégrinations amène Joseph Pépin à Orléans, le jour même où cette ville célèbre historique fête l'anniversaire de sa délivrance par Jeanne d'Arc.
Vous savez que c'est le 29 avril 1429, vers huit heures du soir, que Jeanne put pénétrer dans Orléans, alors assiégée par les Anglais.
Un vieux chroniqueur qui a écrit "La journée du siège d'Orléans", raconte que Jeanne entra dans la ville, ayant à sa gauche son compagnon d'arme Dunois, "bien armé et monté richement". Derrière celui-ci, "venaient plusieurs autres nobles et vaillants seigneurs, écuyers, capitaines et gens de guerre, avec les bourgeois d'Orléans qui étaient allés au-devant de Jeanne et la vinrent recevoir avec d'autres bourgeois et bourgeoises portant grand nombre de torches... Il y en avait merveilleuse presse pour s'approcher d'elle ou la toucher, ou le cheval qui la portait, tellement que l'un de ceux qui tenaient les torches s'approcha tant de son étendard que le feu prit au pennon (franges)... " Ces gens "l'accompagnèrent au long de leur cité, lui faisant très grande chère et la conduisirent en l'hôtel de Jacques Boucher, trésorier du duc d'Orléans où elle fut reçue à grande joie".
C'est de ce récit que le Châtelet a tiré le merveilleux tableau vivant que vous voudrez tous voir.
Vous y retrouverez des types de guerriers que vous ne connaissez probablement que de noms : les archers, les arbalétriers armés de pied en cap et vêtus de leur uniformes aux couleurs chatoyantes.
Avez-vous entendu parler, dans les récits que vous avez lus, du bon canon Riflard que tuait son homme à chaque coup ? Il est ici, tout cerlé de fer, couché sur un long chariot que traînent six chevaux. Vous y rencontrez aussi la fine coulevrine de Maître Jean, la merveille des merveilles à cette époque, et que les Anglais qui la voyaient partout en même temps comparaient au diable.
Elle jetait à bas les meilleurs de leurs chefs. Un jour, c'était lord Gray qu'elle abattait comme une mouche.
Un autre, leur maréchal de camp faisait, à son grand dommage, connaissance avec elle.
Les canonniers ennemis, furieux, réunirent contre elle tous leurs efforts. Ah ! Ah ! voici enfin qu'un jour Maître Jean tombe ! On l'emporte sur un civière ; il est mort, bien mort cette fois, et les Anglais de rire ! Or, l'instant d'après, la canonnade recommence ; Maître Jean est ressucité et reprend son jeu de massacre.
Mais le défilé continue. Voici les troupes légères : les hallebardiers ; les vougiers qui combattent avec un pieu, et d'autres gens d'armes.
Soudain, un vide. Une sonnerie de trompette retentit et, tandis que les cloches sonnent à toute volée à la cathédrale dont on aperçoit le sommet des hautes tours, la bonne Lorraine apparaît.
Jeanne, la pure héroïne, dont l'histoire a fait battre vos petits coeurs, vous la voyez enfin. Elle est couverte d'une armure d'acier poli qu'on appelait un harnais blanc et, comme elle est nu-tête, ainsi d'ailleurs qu'on la présente le plus souvent, vous comprenez maintenant, mieux qu'aucune description n'a jamais su vous le dire, mieux qu'aucune gravure n'a pu vous le montrer, la raison de l'ascendant qu'avait pris sur les rudes guerriers de son temps cette jeune fille au doux visage rayonnant, et pourquoi, par exemple, son compagnon d'armes La Hire, ce mécréant de La Hire - il est là lui aussi, tout près d'elle - qui blasphémait comme un païen avant de l'avoir rencontrée, n'osait plus ensuite, pour ne point la peiner, jurer que par son bâton.
C'est Charles VII ; ce sont Isabeau de Bavière, sa mère, et sa femme, Marie d'Anjou. Le cortège de "fous" qui les accompagne ne se mêla pas non plus au peuple en liesse. Vous savez, sans doute, ce qu'étaient les fous.
Ces êtres généralement difformes et grotesques avaient pour mission de distraire les rois par leurs cabrioles et leurs calembredaines.
Il faudra vous souvenir de tous ces détails quand vous irez voir le Roi de l'Or. Vous prendrez ainsi plus d'intérêt à la reconstitution de l'entrée de Jeanne d'Arc à Orléans, puisque vous pourrez reconnaître aisément, au milieu du brillant cortège de l'héroïque paysanne de Domrémy, certains personnages qui, après s'être échappés des feuillets de votre histoire, seront venus, pendant quelques courts instants, revivre devant vous.