La Chine, ses réalités, ses mirages, des conséquences

Par Mauss

Au moment où plusieurs producteurs bordelais m'affirment mezzo-voce avoir en cave un nouveau millésime d'exception (si, si), un mien ami travaillant dans le négoce revient de Chine où les choses du vin continuent à susciter des étonnements continus.

LES REALITES

La Chine continue à croître économiquement parlant et donc à "mettre sur le marché" de plus en plus de riches qui, arrivés à un certain niveau de vie, veulent copier les modes de vie occidentaux. Ce n'est pas demain que cet état de fait s'arrêtera, qu'on le regrette ou non, là n'est pas la question.

Pour des raisons historiques diverses et variées, les vins de Bordeaux surfent en tête dans cette évolution et on commence à compter sur les doigts de la main les producteurs de crus classés qui ne sont pas encore partis en Chine pour promouvoir leurs crus.

Soyons certains qu'avec le nouveau millésime, ils seront encore plus nombreux et enthousiastes à porter la bonne parole et à tailler de sérieuses croupières à d'autres pays qui lorgnent avec jalousie sur cette situation monstrueusement privilégiée. Ma foi, c'est une guerre commerciale comme une autre, et que le meilleur gagne !

LES MIRAGES

Cette évolution de type volcanique a un grave inconvénient : elle oblige tous les acteurs à travailler uniquement sur le court terme (notamment se faire payer avant d'envoyer la marchandise), tant personne ne croit, au fond de lui-même, que les prix déments atteints par certains noms resteront une norme et ne redeviendront pas très rapidement une histoire brève qu'on racontera à la prochaine génération au moment des doux rêves. Qui se souvient de la brusque demande des cannelés au Japon, une mode qui a explosé et s'est éteinte comme un feu follet ?

On parle ici et là de dossiers en cours de montage pour l'acquisition par des moguls chinois de propriétés en rive gauche ou droite. On peut facilement imaginer à quel point les possibles vendeurs vont là aussi surfer sur les valeurs des derniers millésimes alors que les voisins vont s'énerver face aux prétentions fiscales de l'ISF et autres gentillesses au moment des successions. Bref, on travaille "à chaud" comme jamais. C'est nouveau, ça vient de sortir, et c'est ici et là qu'on verra les vraies pointures du négoce, si solidement assises sur des certitudes historiques qu'il va falloir mettre à jour ! Gageons que, comme d'hab, les meilleurs vont très vite s'adapter.

LES CONSEQUENCES

D'abord les dégâts collatéraux sur les autres marchés. l'Europe a compris depuis longtemps que face aux sirènes du bel argent étranger, ses fidélités ancestrales avaient peu de poids. Cela fait des lustres que les acheteurs réguliers des grands noms ont très sérieusement réduits leurs achats ou se sont portés sur des crus nettement moins chers et souvent aussi bons, si ce n'est meilleur. On a pris cela ici avec beaucoup de philosophie.

De leur côté - à lire tout au moins les commentaires mis en ligne sur les sites et forums américains - nos amis d'outre-atlantique sont relativement furieux de cette "ingratitude" de Bordeaux à leur égard. Mais basta d'une belle hypocrisie car il est évident que bien des américains revendent actuellement sur les marchés asiatiques, des vins qu'ils ont en stock ou des allocations qu'ils ont eu et qu'ils ne destinent plus à leur marché national. Business is business.

Une promotion en Asie coûte beaucoup d'argent : voyages, hôtels, dégustations offertes, travail de communication, etc. Seuls les domaines bénéficiant de budgets conséquents ont les moyens de se faire connaître et, bien évidemment, les petites propriétés comptent sur le négoce dont, quelque part, c'est la tâche principale. Pas évident.

Des régions comme la Bourgogne ou le Rhône, la Toscane ou la Rioja lorgnent avec inquiétude à cette évolution des marchés, espérant que leur tour viendra. Là encore, comme toujours, l'union fera la force et, pour reprendre une image d'Hubert de Boüard au WWS à Villa d'Este, on est au niveau du premier étage de la fusée, là où toutes les forces doivent s'associer pour lancer l'engin, quitte à ce que plus tard l'efficacité sera de continuer en groupe réduit puis seul.

UNE PROPOSITION EUROPEENNE

Il faudrait qu'au niveau européen, un solide noyau de domaines reconnus réunisse ses propres moyens et organise un salon de présentation de leurs crus en y associant leur importateur, la presse, la sommellerie des grands hôtels. Le Wine Festival que fait Hong-Kong est un bel exemple, mais il faudrait l'équivalent à Beijing ou Shanghaï ou autre. Il y a une telle "soif" de connaissance chez les amateurs chinois ! Mais si on ne va pas vers eux, comment voulez vous qu'ils soient informés ? Leur temps est précieux et ce n'est pas demain qu'ils pourront suivre les cours assimil.

Je reviens du Parlement Européen à Strasbourg. Il y a là des sources de financement que le monde du vin ne sait vraiment pas exploiter ! Quitte à payer des sociétés spécialisées pour remplir des dossiers dont on voudrait bien connaître les auteurs, histoire de voir à quoi ressemble un martien ! Mais bon, je dévie, je dévie…

LES FAUX AMIS

In fine, ne jamais oublier que pour le vin comme pour le reste : le producteur propose, le client dispose. Il n'y a aucune raison pour qu'un domaine, se drappant dans une fausse dignité, se refuse à bénéficier de la situation. Si son vin est demandé en Asie et que là-bas on est prêt à le payer bien plus cher que le feraient les américains, inutile de leur donner l'opportunité à eux de revendre sans scrupules, avec profit, ces allocations qu'on leur ferait à prix doux. Et quand les rééquilibres se mettront en place, on verra qu'au XXIème siècle, les mémoires sont de plus en plus courtes : la compétition pour un bien limité face à un marché presqu'illimité dominera les débats, et sans état d'âme.

Mais bon, comme d'hab, tout cela se discute !

 

et surtout ne pas oublier les vignerons locaux qui vont vite faire parler d'eux : Emma Gao (Silver Heights)