Mitar Subotic est né Serbe mais est mort Brésilien. Tout le tragique de sa disparition soudaine en 1999 lors d’un incendie ne l’a pas empêché de faire connaître son avatar, Suba. Car ce génie de la musique brésilienne (!) a réalisé et produit deux des disques les plus symptomatiques de la musique brésilienne, loin des clichés qui sont, une décennie plus tard, toujours aussi présents chez l’auditeur lambda.
Il sort tout d’abord son album studio, São Paulo Confessions, qu’il a lui-même entièrement produit, interprétant piano, claviers et programmation, alors qu’il voit des invités de qualités se succéder tout au long de l’œuvre, à la musique, aux samples ou au chant, puisque voilà l’une des rares choses que ne faisait pas Suba, à savoir : chanter (en portugais, donc). Mention spéciale à João Parahyba aux percussions sur sept morceaux.
Les voix féminines sont à l’époque méconnues du public, telles Cibelle ou Taciana sur les deux morceaux d’ouverture, respectivement « Tantos desejos » et « Você gosta », chansons qui s’entremêlent parfaitement, avant que « Na neblina » ne nous laisse reposer un moment dans le calme de cet instrumental.
En effet, Suba jongle entre productions instrumentales et chansons plus traditionnelles, mais l’ensemble est entièrement voué à l’univers de la nuit : la nuit du repos, ou la nuit de la fête, ou encore la nuit d’après fête où tout est encore vague dans notre esprit. Une légèreté envahit notre corps pendant chacune des douze pistes.
Katia B. reste dans l’ambiance, donc, avec son « Segredo » susurré pour notre plus grand plaisir. « Antropófagos » est, comme son titre l’indique, plus primitif, c’est-à-dire davantage tribal. De la musique dans la plus pure tradition brésilienne, pour laquelle la voix humaine serait un encombrement inutile. Voilà donc pourquoi vous percevrez par moment des bruits d’oiseaux disséminés au milieu des rythmes cadencés de cette très bonne composition.
Cibelle revient sur l’un des meilleurs titres, « Felicidade » puis sur « Sereia », ces deux morceaux étant séparés par l‘instrumental « Um dia comum », qui sert plutôt de lien entre les chansons. En effet, ce dernier semble un morceau à écouter au réveil – pardon, sur son radio-réveil, au petit matin, tellement il est emprunt d’une luminosité ne pouvant être autre que celle de l’aube.
J’en reviens à « Sereia », qui est tout simplement l’un des moments-clé de tout le disque (avec « Abraço »). Dès les premières notes, je frémis. J’adore. Je m’extasie devant cette parfaire symbiose entre musique et chant. Je comprends de mieux en mieux pourquoi ce disque nous offre des confessions sur la ville qui l’a vu naître. Ou plutôt, qui l’a complètement inspiré, de a à z. Je parlais tout à l’heure de matin, mais l’aube peut être trompeuse, et plutôt que de nous laisser voir le nouveau jour, laisse traîner cette belle et longue nuit… « Sereia » est le morceau envoûtant par excellence.
« Samba do Gringo Paulista » est un autre titre instrumental, malheureusement mal placé entre deux bijoux, dont le second (ou premier, je ne sais toujours pas lequel je préfère – de toute façon je n’ai pas à choisir), « Abraço » est le premier et seul titre avec une voix masculine, celle d’Arnaldo Antunes, même si celui-ci est accompagné de Joanna Jones. Cette voix d’homme, relativement grave (donc macho ?) donne un joli coup de fouet à São Paulo Confessions, puisque l’omniprésence de voix féminines aurait été un bémol. Surtout qu’il s’agit de l’une des plus belles performances de l’album. D’ailleurs, c’est sûrement la plus mémorable. « Abraço » s’impose petit à petit, d’abord par sa voix féminine, qui laisse alors Antunes nous asséner ses vers sans possibilité pour nous de souffler. Magistral ! Après un tel morceau, et surtout après tout ce que l’on a entendu jusque là, comment la fin du disque pourrait-elle être autre chose qu’un cheminement vers la fin de ses confessions…
Logiquement, les deux derniers titres sont instrumentaux, entre « Pecados da madrugada » et « A noite sem fim », on se demande finalement à quoi peut ressembler une « nuit » à São Paulo. Combien de temps celle-ci peut durer.
Je ne peux conclure, si ce n’est en citant Suba lui-même (pardon aux non anglophones, de même pour ceux qui ne comprennent pas le portugais et auront donc raté certaines subtilités dans les titres) : « São Paulo, Brazil. The world’s fourth megalopolis with over 18 million souls, and more arriving everyday. A stressful maze of massive skyscrapers, kilometric avenues and relentless chaos. Think Blade Runner in the Tropics. Life in São Paulo is fast, crazy and dangerous, as reality changes constantly. The city is full of people from all over Brazil and foreigners, all trying to make sense out of it. with time and patience to dig deep enough, you can make discovery after discovery, you find very strange people and very special places… Here, they call me Gringo Paulista. I’ve been in this city for ten years, and it already feels like I’ve lived several, parallel Paulista lives… ». C’était en 1999.
(in heepro.wordpress.com, le 17/12/2010)
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