« La guerre est une chose trop sérieuse pour ne la confier qu’à des militaires », aurait dit Clémenceau. De même, l’écologie serait-elle une cause trop sérieuse pour ne la confier qu’aux écologistes, ou du moins, à certains d’entre eux ? C’est un peu l’impression que l’on retire, à la lecture d’un essai décapant récemment publié par Sergio Emilson, Comment recycler les oiseaux mazoutés (Plume de carotte, 160 pages, 16€).
L’auteur part d’un constat : « Il fut un temps où l’écologie était joyeuse. [… Aujourd’hui,] l’écologie est devenue obligatoire, elle est moralisatrice, elle est culpabilisante, elle avance quelquefois avec un faux nez, elle confine au religieux et à l’extrémisme, elle est surtout désespérante et tristounette comme le plic plic des premières gouttes d’eau sur un panneau solaire. Elle est mort-née si elle ne change pas de discours et de manière. » Tranché, le propos n’en est pas moins lucide, car Sergio Emilson a compris que ce qui constitue l’un des enjeux majeurs du XXIe siècle se mue depuis quelques années en une forme inquiétante de religion, avec ses dogmes dont on ne saurait débattre sans encourir la diabolisation. Sans oublier ses prophètes et ses pharisiens qui, dans le plus pure style millénariste, instrumentalisent les peurs pour asseoir de gré ou de force leur légitimité vacillante, car ils ne sont pas, eux-mêmes, exempts de reproches ! L’exemple du Syndrome du Titanic reste, à cet égard, édifiant.
Le parallèle avec le Christianisme des temps les plus obscurantistes ou avec les totalitarismes communistes est saisissant. Entre hyper-communication, querelles de clochers et conflits d’ego, on ne compte plus les Bernardo Gui, ni les Torquemada, ni les Béria, ni les « khmers verts », brandissant leur idéal ascétique, toujours prompts à culpabiliser le moindre de nos comportements, jugé « hérétique » ou « déviant », et à marteler leurs messages, du plus sérieux au plus irrationnel. La « moraline » que combattait Nietzsche a fonctionné pendant deux millénaires ; certains adeptes du développement durable se croient donc aujourd’hui obligés de donner l’exemple en tentant de recycler ce produit nocif à leur profit, jusqu’à exhorter à une repentance, qui prend désormais la forme de « compensation carbone » – un acte astucieux de contrition pour se donner bonne conscience à moindre frais.
Pour lutter contre ce nouvel intégrisme, l’auteur aurait pu écrire un long essai documenté, voire un pamphlet cinglant. Il aurait aussi pu choisir la dimension littéraire, comme Michel Houellebecq qui, dans Plateforme, signe un texte drôle et féroce dans lequel il met en scène un couple « d’écolos jurassiens » découvrant, dans une forêt de Thaïlande, que la nature, avec ses serpents et ses insectes, n’est pas aussi amicale qu’ils l’avaient pensé… Mais Sergio Emilson a préféré employer une méthode plus subversive : un mélange détonnant d’humour et de dérision.
Dans sa démarche, il fait feu de tout bois (certifié FSC, comme il se doit). L’ensemble du paysage « bobolandais » modèle est donc exploré, des couches lavables de la prime enfance aux cercueils en carton des « écocitoyens » défunts. En passant par la consommation, qu’il faut réduire et, si possible, remplacer par le troc, l’alimentation, qui ne sera pas « bio », mais « biyo » – nouvelle prononciation, gage d’authenticité. En passant encore par l’argent (éthique), les cosmétiques (équitables), l’habitat (avec toilettes sèches), les transports (en commun ou version Vélib’),l’éducation (verte), le tourisme (solidaire), le travail (éco-responsable) et les énergies (renouvelables, forcément renouvelables). Habilement, l’auteur met d’ailleurs en lumière les contradictions que le respect simultané de toutes ces règles soulève.
Tout, dans ce livre, est à considérer au second ou au troisième degré, des illustrations de têtes de chapitres qui reprennent des images saintes et des affiches de la propagande stalinienne et maoïste, aux articles de fond et aux improbables références bibliographiques. L’humour de l’auteur s’apparente souvent au registre absurde ou « loufoque » cher au talentueux et regretté Pierre Dac ; certains paragraphes n’auraient pas été incongrus dans les pages de l’hilarant Os à moelle qu’il avait fondé en 1938.
Ainsi, dès la page 13, Sergio Emilson nous conseille de « recycler ce livre sans attendre » ; page 35, il nous recommande un ouvrage de référence (naturellement fictif) : Alimentation bio en milieu éco-hospitalier, vers une responsabilité citoyenne de l’alter-malade. On lit encore (p. 91) : « Les embouteillages, le vol, les dégradations, les places de parking introuvables, les P.V., fini le stress en voiture, prenez les transports en commun. Et découvrez le stress des retards, des grèves, des agressions, des incivilités… » et (p. 112) : « Dialoguer dans la langue du pays est le premier signe d’altruisme et de politesse. Apprenez le quechua. En général, ça sert peu, mais c’est très tendance. »
Parfois, l’humour devient plus grinçant : une gravure d’époque représentant un colon transporté sur une chaise à porteurs par quatre hommes noirs est ainsi assortie de la légende : « Il est grand temps de s’inspirer de l’époque, finalement pas si lointaine, où le tourisme se mariait avec le respect de l’environnement ». A la fin du livre, le lecteur se voit aussi conseiller, dans la bibliographie : « 50 lettres de menace, une source d’inspiration pour convertir rapidement les derniers récalcitrants à la cause écologique. »
Se définissant comme un écologiste convaincu, Sergio Emilson (nom qui serait un pseudonyme) n’a pas écrit ce livre pour nuire à la cause qu’il défend. Bien au contraire, il redoute que cette cause noble ne soit sérieusement compromise par les éco-tartuffes – à commencer par les entreprises pratiquant le greenwashing et les gourous médiatisés –, les imprécateurs et les intégristes dont les messages, assénés à longueur de journée, deviendraient, pense-t-il sûrement à juste raison, lassants et contreproductifs. Il milite pour un retour à « l’écologie joyeuse » et fustige ceux qui se complaisent à ordonner « Tu recycleras dans la douleur ». Sans doute de nombreux passages de cet essai feront grincer les dents des bien-pensants et autres tenants de l’écologiquement correct. Pour autant, son humour au vitriol réjouira plus d’un lecteur.
Illustrations : Couverture - Illustration de la page 31 (œufs certifiés “bio”) - Illustration de la page 77 (astucieux dispositif d’économie d’énergie).