LES OISEAUX d'ALFRED HITCHCOCK

Par Abarguillet

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Les Oiseaux  ( The birds ) sont, selon moi, la réalisation la plus captivante de Hitchcock de par son sujet tiré d'un roman de Daphné du Maurier. Ce film, à l'évidence, allait poser au metteur en scène des problèmes techniques innombrables qu'il a surmontés avec virtuosité. Néanmoins, les truquages nécessaires  aux scènes où interviennent les oiseaux demandèrent deux ans de travail à une équipe composée de collaborateurs de Walt Disney. Des oiseaux dressés furent employés pour les gros plans.
Au début, nous voyons Rod Taylor dans le magasin où l'on vend la gent ailée. Il rattrape un canari qui s'était échappé, le range dans sa cage et, se tournant vers la jeune femme qui l'accompagne, dit : " Je vous replace dans votre cage dorée Mélanie Daniels". Cette phrase nous éclaire sur le personnage de cette fille riche et gâtée. Aussi, plus tard, lorsque les mouettes attaquent et que Mélanie se réfugie dans une cabine téléphonique vitrée, le symbole est nettement souligné. On assiste au renversement du vieux conflit entre les hommes et les oiseaux et, cette fois, ce sont les oiseaux qui sont à l'extérieur et l'homme en cage. Même si la métaphore ne vient pas immédiatement à l'esprit, la scène est présente avec sa force. Autre métaphore entre les oiseaux d'amour, que l'on se procure dans le magasin spécialisé, et les oiseaux de la haine qui frappent les humains et les animaux comme si le malheur venait du ciel. Symbole d'une fin du monde qui ne serait pas le fait de bombes nucléaires mais de hordes ailées.

 
L'histoire est construite en respectant les trois unités de la tragédie classique : unité de temps, de lieu et d'action. L'action se passe à Bodega Bay en deux jours. A San Francisco, Mélanie Daniels ( Tippi Hedren), une jeune femme un peu snob de la bonne société, rencontre un avocat prénommé Mitch ( Rod Taylor ). Désirant le revoir, elle se rend dans le petit port de Bodega où il habite avec, pour prétexte, d'offrir deux love birds à sa jeune soeur qui fête son anniversaire. Dès son arrivée, elle est blessée au front par une mouette et, pour cette raison, invitée à rester 24 heures chez Mitch. Le lendemain, au cours du pique-nique d'anniversaire, des mouettes attaquent les enfants et des moinillons envahissent la maison de Mitch en y pénétrant par le conduit de la cheminée. Puis, c'est au tour de corbeaux de s'en prendre à des enfants à la sortie de l'école et à des mouettes de piquer sur la ville, provoquant un incendie et tuant un habitant.
Peu après, Mélanie réussit à échapper à une nuée de corbeaux, mais Annie, l'ancienne fiancée de Mitch, succombe à ses blessures. Au cours de toutes ces épreuves, Mélanie révèle une autre facette de sa personnalité : elle est attentive aux autres et courageuse. Mais elle subit au petit jour, dans une mansarde, une dernière et terrible agression et en ressort ébranlée nerveusement. Mitch décide d'emmener Mélanie et sa famille hors de la ville et ils quittent ensemble la maison en voiture, alors que dans le paysage les oiseaux se tiennent aux aguets, immobiles et menaçants.

L'élément peut-être le plus original du film est de voir le monde comme si la caméra était placée dans l'oeil d'un des oiseaux. Cela donne au film une dimension insolite. Ce sont de véritables armées ailées qui fondent sur l'univers des hommes subitement tétanisé par ce danger venu d'en haut. Ciel et terre se livrent à un duel fascinant, tout à fait imprévisible, et le résultat est époustouflant. Hitchcock avait des idées créatrices sur tout et sur le son autant que sur le cadrage, le montage ou la construction du scénario. Pour Les Oiseaux, le son joue un rôle primordial, sur lequel le metteur en scène s'est longuement expliqué : " Par exemple, quand Mélanie est enfermée dans la mansarde et que les oiseaux l'attaquent, nous avions beaucoup de sons naturels, des mouvements d'ailes, mais nous les avons stylisés pour obtenir une plus grande intensité. Il fallait deviner comme une vague menaçante... Pour bien décrire un bruit, il faut imaginer ce que donnerait son équivalent en dialogue. Je voulais obtenir dans la mansarde un son qui signifierait la même chose que si les oiseaux disaient à Mélanie : " Maintenant nous vous tenons. Et nous arrivons sur vous. Nous n'avons pas besoin de pousser des cris de triomphe, nous n'avons pas besoin de nous mettre en colère, nous allons commettre un meurtre silencieux ".  J'ai demandé un silence, mais pas n'importe quel silence, un silence d'une monotonie qui pouvait évoquer le bruit de la mer entendu de très loin. Lorsque j'ai tourné la scène de l'attaque de la maison par les mouettes, la difficulté était d'obtenir des réactions de la part des acteurs à partir de rien, car nous n'avions pas encore les bruits d'ailes et les cris des mouettes. Alors j'ai fait amener un petit tambour sur la plateau et à chaque fois que les acteurs jouaient leurs scènes d'angoisse, les roulements du tambour les aidaient à réagir".

Cela est si probant que le jeu des acteurs nous surprend par son naturel, sa spontanéité, sa véracité. Le spectateur a l'impression d'assister à la projection d'un documentaire saisi sur le vif. Les scènes sont d'un réalisme inouï et concourent à nous faire vibrer à un scénario où les sons d'oiseaux ont été travaillés comme une véritable partition. Aucun détail n'a été négligé et on ne peut qu'admirer le savoir-faire du metteur en scène qui parvient à maîtriser les difficultés immenses qu'un tel tournage implique nécessairement. Ce film, sans nul doute en avance de quelques décennies sur la vogue des films-catastrophes, coûta assez cher à cause de ses effets spéciaux et n'obtint pas le succès qu'il eût mérité, car c'est à proprement parler un film de visionnaire, une fable où le voyeur est devenu oiseau. Je dois avouer qu'il a produit sur moi une forte impression. Je vous invite à le voir ou à le revoir, tant la logique et l'imagination y composent une variation surréaliste sur un devenir chargé d'ambiguïté.

" L'essentiel - disait Hitchcock - est d'émouvoir le public et l'émotion naît de la façon dont on raconte l'histoire, de la façon dont on juxtapose les séquences. J'ai donc l'impression d'être un chef d'orchestre, un coup de trompette correspondant à un gros plan et un plan éloigné suggérant tout un orchestre jouant en sourdine, devant de beaux paysages ; et en utilisant couleurs et lumières, je suis comme un peintre. Je me méfie en revanche de la littérature : un bon livre ne fait pas forcément un bon film. ( ... ) Si vous créez correctement, émotionnellement, le public japonais doit réagir aux mêmes endroits que le public de l'Inde, car le cinéma est le moyen de communication le plus répandu dans le monde et le plus puissant. Il perd quinze pour cent de sa force quand il est sous-titré, dix pour cent s'il est bien doublé, l'image restant intacte même si le film est mal projeté. C'est votre travail qui est montré, vous êtes protégé et vous vous faites comprendre de la même façon à travers le monde entier."

Aujourd'hui l'oeuvre de Hitchcock a fait beaucoup d'émules, ce qui est normal puisqu'il était un maître. L'un de ses disciples et admirateurs, François Truffaut, a écrit ceci  qui me parait approprié pour conclure ce cycle hitchcockien : " Ce qui me frappe, c'est à la fois la sincérité et la sauvagerie de son oeuvre. Sur l'écran, ce ne sont qu'éclaboussures, feux d'artifices, soupirs, râles, cris, larmes, sang, et il m'apparait que dans ce cinéma, décidément plus sexuel que sensuel, faire l'amour et mourir ne font qu'un".

Pour consulter l'article que j'ai consacré à Alfred Hitchcock, cliquer  sur son titre :

 Alfred Hitchcock, une filmographie de l'anxiété