Comme vous avez pu le constater ici ou là, j’aime bien les concours où on demande l’avis du public. Il y a, à Trafalgar Square, trois statues de guerriers (plus Nelson sur sa colonne), et un quatrième socle, vide. Depuis 1999, ce socle est occupé par l’oeuvre d’un artiste contemporain, choisi après débat et décision d’un jury. En Septembre 2005, ce fut Marc Quinn, avec une statue qui souleva bien des controverses. De l’actuel, je ne vous ai rien dit, tant son assemblage, qui va rester encore deux ans, me paraissait dénué d’intérêt.
Pour la phase suivante, six artistes ont été sélectionnés et présentent actuellement leur projet à la National Gallery, jusqu’au 30 Mars. J’ai fait mon choix, et rempli la fiche de commentaire.
J’ai d’abord éliminé les deux projets les plus décoratifs, qui me semblaient n’avoir ni profondeur, ni beauté. Shonibare voudrait présenter le bateau de Nelson, avec des voiles en batik, dans une immense bouteille de verre : kitschissime et pseudo-politique. Tracy
Emin propose une famille de suricates, “symbole d’unité et de sécurité” : un peu facile.Le projet de Bob & Roberta Smith (couple fictionnel, en fait Patrick Brill) est (assez) drôle, francophile (joli pied de nez à Nelson), écologiquement correct (éolienne et panneaux solaires), mais ennuyeux : “Faites l’art, pas la guerre’.
Il m’a été plus malaisé d’éliminer Anish Kapoor, car son projet, le “Socle du ciel“, est très beau : de grands miroirs concaves, argentés ou colorés, qui captureraient l’image du ciel et la renverraient sur terre, à nos pieds. C’est très prenant, mais, à mes yeux, ça n’a pas la force de mes deux finalistes.
Jeremy Deller propose de présenter, comme on le faisait à Rome, un trophée de guerre, Spoils of War, Mémorial pour un civil inconnu : la voiture d’une famille irakienne, détruite par les troupes de la coalition. Ca peut sembler un peu trop évident politiquement, mais imaginez la force de cette épave brûlée aux pieds de Nelson, au centre de Londres !Mais mon vote est allé à Antony Gormley, dont tout le travail est centré sur le corps humain et la manière dont il s’inscrit dans l’espace. Son projet, nommé “One and Other“, consiste à faire occuper le socle de manière permanente, chaque heure de l’année, par un être humain
différent, un seul, qui pourra y faire ce qui lui plait pendant 60 minutes : parler, danser, dormir, chanter, faire un strip-tease,… Un filet empêchera toute chute. Au total, 8760 personnes seront choisies, venant de toutes sortes de groupes, de communautés, footballeurs, ménagères de moins de 50 ans, SDFs, écoliers, handicapés. Un cahier des charges très détaillé (avec d’autres images) décrit le projet, son organisation, les aléas, le fonctionnement quotidien. L’heure à laquelle on passera sera aléatoire, peut-être le 12 février à 3h du matin en pleine tempête de neige, peut-être le 31 décembre à minuit au milieu de la fête et des feux d’artifice. Cette heure de gloire, cette mise en avant de l’individu, cette représentation de son corps, cet engagement me paraissent de loin plus intéressants que les propositions plastiques des autres artistes. Mais a-t-il une chance de gagner ?Photos provenant du site fourthplinth.