Le Musée montre par ailleurs (jusqu’au 9 janvier) une exposition sur la revue Camera Work : 50 numéros publiés par Alfred Stieglitz à
New York entre janvier 1903 et juillet 1917. La
revue évoluera du pictorialisme européen (Demachy, Puyo) ou américain (plus moderne, moins soumis aux canons de l’art classique) vers une photographie plus dure, plus réaliste (les deux derniers numéros n’ont quasiment que des photographies de
Paul Strand), tout en s’accommodant de pas mal de déviances (les Vortographs d’Alvin Langdon Coburn, la straight photography de Frederick H. Evans) et en montrant aussi Matisse et
Picasso (un an avant l’Armory Show). L’essentiel, pour la revue comme pour la minuscule mais influente
galerie 291, est de défendre la Photographie comme un Art (ci contre, une publicité amusante parue dans Camera Work). Après 1914, la revue s’étiole, n’ayant plus de ligne directrice, et Stieglitz est trop amoureux de Georgia O’Keefe pour continuer à s’y investir autant. L’exposition est historique et didactique mais, de chaque numéro de la revue, on ne voit qu’une page dans une vitrine; c’est assez frustrant. Si encore le gros livre de Taschen reprenant toute la revue était en consultation, mais il n’est même pas en vente à la librairie.
Parmi les contributeurs, dont les biographies sont affichées aux murs, il y eut quelques caractères :
Frank Eugene (Smith) qui émigra en Allemagne et y fut un des premiers professeurs de photographie - de lui ce couple, Adam et Eve, vision Renaissance tempérée par la trace des rayures qu’il faisait délibérément sur le négatif (Camera Work XXX, 1910);
George Davison, richissime président de Kodak UK, châtelain et militant anarchiste;
David Octavius Hill, peintre qui, ayant reçu la commande d’un gigantesque tableau regroupant
450 pasteurs écossais dissidents, se vit contraint de recourir à
la photographie (avec Robert Adamson) ;
Paul Haviland, héritier des porcelaines de Limoges, marié à Suzanne Lalique, héritière des cristaux; et l’extraordinaire
Baron Adolf Gayne de Meyer, de naissance mystérieuse, homosexuel avéré, apparu à la cour d’Angleterre venant d’on ne sait où, époux d’une
fille illégitime d’Edouard VII. C’est à lui qu’on doit ce portrait de la fameuse Marquise Casati (Camera Work XL, 1912), que
Man Ray revisitera.
Une des plus belles photographies montrées ici (toujours en photogravure dans les pages de la revue dans une vitrine) est ce Balzac en plein air de
Steichen (Camera Work XXXIV/XXXV, 1911) majestueux et superbement sculpté par la lumière, émergeant de l’ombre avec une force mystérieuse.
Photos 1 et 2 de l’auteur.