Boardwalk Empire, interview de Marc Iskenderian

Publié le 17 décembre 2010 par Fredp @FredMyscreens


La géniale série de Martin Scorsese et Terence Winter (Les Sopranos) diffusée par HBO aux USA, Boardwalk Empire, début ce dimanche 19 décembre en France sur Orange CineMax ! L’occasion justement de discuter avec Marc Iskenderian (journaliste sur la chaîne) de la série et de la créativité des networks américains.

MyScreensDans un premier temps Marc, pourriez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours et comment avez-vous été amené à travailler sur l’une des chaînes Orange ?

Marc Iskenderian – Je suis responsable éditorial au sein d’Orange Cinéma Séries. Je m’occupe des magazines traitant de l’actualité cinéma, aussi bien des films de genre que d’auteur, ainsi que des sorties DVD de films classique ou de direct to video. Pour voir cela, n’hésitez pas à vous rendre sur le site pour visionner DVD Geek ou Tu vois le Genre? sans oublier Sunset Vista !
J’ai toujours été passionné de cinéma, de séries TV, de BD, bref, une vraie culture geek ! J’ai travaillé au sein de chaînes diffusées sur le câble, en participant aux magazines ainsi que la programmation cinéma de ces chaînes.

MS – Pouvez-vous nous parler de votre émission Quoi de Novo ? D’où vient l’idée ? quelle ligne éditoriale suivez-vous ? et quels sont vos projets dans le cadre de cette émission ?

MI - Concernant Quoi de Novo, l’émission est née à Cannes en 2009. Une belle occasion de couvrir trois compétitions peu médiatisées mais qui ont cet avantage d’être une antichambre de la compétition officielle, à savoir donc la Quinzaine des Réalisateurs, la Semaine de la Critique et Un Certain Regard. Notre ligne éditoriale est simple : rechercher toute forme de créativité au sein des films d’auteur. Le but étant de montrer que c’est un cinéma accessible, visible qui regorge de pépites, aussi bien en comédie qu’en drame.

MS - Parlons un peu des programmes maintenant. Boardwalk Empire débute prochainement en France après avoir remporté un gros succès pour HBO aux Etats-Unis. C’est sûrement dû à l’implication de Martin Scorsese en tant que réalisateur du pilote et producteur de la série. Que pensez-vous de se rapprochement entre le cinéma et la télévision ? De plus en plus d’acteurs passent de l’un à l’autre sans problème aujourd’hui…

MI – Pour Boardwalk Empire, la jonction entre cinéma et série peut s’expliquer par différents points. Tout d’abord, une question de moyens. Aujourd’hui, la télévision américaine et les networks tout comme les chaînes câblées AMC, HBO ou Showtime, sont capables d’investir beaucoup d’argent pour leurs séries. La direction artistique est devenue une étape majeure. Et pour reprendre l’exemple de Boardwalk, reconstruire des décors comme Atlantic City coûte cher mais c’est devenu indispensable pour la crédibilité à l’image. Et bien entendu, cela attire de très grands réalisateurs. Martin Scorsese a pu réaliser le pilote tel qu’il l’envisageait. Et d’autre part, attirer une telle signature offre immédiatement un cachet pour la série qui va attiser la curiosité des futurs téléspectateurs.

Attention, il ne s’agit pas que d’une question d’argent. Le système hollywoodien connaît une certaine crise, et des films à budget moyen sont très difficiles à monter. Et donc, de grands scénaristes ou de grands réalisateurs voient en la télévision un média exceptionnel et prêt à investir dans des projets originaux. Il suffit de suivre la liste HBO : Hung, Bored To Death , prochainement Games of Thrones…

Quant aux acteurs, c’est un peu la même situation. Jack Bauer était un rôle en or, Kiefer Sutherland était en perte de vitesse au cinéma, alors pourquoi refuser un tel projet ?
De plus, pour un acteur, la visibilité est énorme. Un épisode par semaine, bien entendu à condition que votre série fonctionne. Christian Slater, pour l’instant, essuie échec sur échec.

En fait, il n’y a pas de recette magique, mais un ingrédient reste indispensable : le scénario.

MS - Boardwalk Empire, c’est aussi une grande fresque sur les USA pendant la prohibition, tous les grands thèmes de société y sont abordés. C’est assez rare finalement dans les séries. Qu’en pensez-vous ?

MI - Avec Boardwalk, voilà une série qui englobe plusieurs éléments grâce à une écriture ciselée, concise, et surtout qui explore parfaitement la psychologie des personnages. C’est un autre avantage pour une série. Les auteurs ont douze épisodes pour faire évoluer les personnages.
Terence Winter a tout de même produit et écrit les Sopranos ! Alors un mafieux comme Enoch Thompson (Steve Buscemi) ne pouvait que le passionner !
Alors certes oui, aborder autant de thèmes dans une série, c’est plutôt rare, mais HBO a su s’entourer de personnes talentueuses à tous les niveaux : équipe technique, artistique, photographie, scénario et réalisation.

MS - C’est aussi un peu le concurrent de Mad Men de la nouvelle concurrente AMC, qui lui, présente l’évolution de USA à partir des années 50/60 par le prisme de la publicité …

MI - Mad Men, voilà encore un très bon exemple : réalisation impeccable, acteurs investis dans leur rôle, scénario parfaitement maîtrisé.
En revanche, il me semble qu’il n’y a pas matière à concurrence. Ces deux séries offrent un miroir sur la société américaine, tel qu’elle l’était à ces différentes époques, mais finalement, les thèmes restent modernes : l’égalité des femmes au travail est-il un problème résolu ? Quant aux phénomènes de corruption ou des lobbys qui tirent les ficelles en politique, n’y a-t-il pas encore résonance aujourd’hui ?
Je n’y vois pas de concurrence mais plutôt un point commun : analyser la société d’aujourd’hui en se tournant vers le passé ! S’il y a concurrence, alors elle est positive, car elle pousse aussi bien AMC qhe HBO à produire des séries de qualités, et finalement le plus heureux est le téléspectateur.

MS - Depuis l’arrêt de 24 et Lost on peut voir une nette baisse de régime, que ce soit au niveau de la créativité mais aussi des audiences sur les grands networks américains. Comment analysez-vous cela ?

MI – Oui, l’arrêt de Lost ou de 24 marque incontestablement la fin d’une époque, en tout cas pour les networks, en recherche constante du prochain hit !
Nous parlions des frontières entre cinéma et télévision, eh bien voilà. Aujourd’hui, JJ Abrams réalise Super 8, travaillera encore sur le prochain Star Trek, produit Mission Impossible 4 (après avoir réalisé le 3). Remarquez d’ailleurs, Star Trek et Mission Impossible, deux séries télés à la base !!!
Joel Surnow, Kiefer Sutherland retournent au cinéma.

Bonne nouvelle pour Hollywood, mauvaise nouvelle pour les networks ? Oui et non ! Car les voilà obligés de faire encore plus de créativité ! Certes, l’année 2010 représente un tournant, mais les projets mettent du temps à se concrétiser. Nous pourrons véritablement analyser la perte de vitesse au cours des deux prochaines saisons, mais pour l’instant, cela semble prématuré.
Quant aux séries sur les chaînes câblées, ces dernières relèvent aussi le défi des networks : créativité, originalité, scénario…

MS – A l’inverse, les chaînes cablées comme HBO, Showtime, Starz ou AMC réagissent bien et osent des programmes assez inattendus mais qui remportent un vif succès (True Blood, Walking Dead, Boardwalk Empire en tête), est-ce que c’est le commencement d’un nouveau cycle qui avait débuté déjà avec HBO à l’époque (lors des Sopranos et Six Feet Under) ?

HBO entre clairement dans une nouvelle étape de son histoire. True Blood, Boardwalk Empire, des séries qui cartonnent, qui se vendent à l’étranger et des thématiques fortes. Mais à nouveau, nous pourrons clairement tirer de vrais enseignements d’ici une à deux saisons. La mutation est en marche, voyons voir jusqu’où cela ira et surtout quels seront les nouveaux talents de demain. Un héritier d’Alan Ball ? Un nouveau David Simon ? Nul doute qu’HBO connaît déjà la réponse et que les futures séries sont déjà dans les cartons !

MS - Par contre, la France est toujours aussi frileuse à investir dans des séries au caractère cinématographique. Il y a bien Canal + qui s’en sort bien (Pigalle, Engrenages) ou même France Télévision (Un Village Français, Maupassant), mais sur TF1 et M6, on est loin d’avoir ce genre de production. Pourquoi ? Comment pourrait-on y remédier ? Est-ce que Orange Cinema Series pourrait justement devenir le HBO/AMC français ?

Pour la France, il y a avant tout un problème autour de la notion d’auteur. Pour y remédier, il faudrait donc remettre en avant un travail préalable d’écriture fouillé et réalisé en amont. Sur certains titres, c’est le cas, mais pour l’instant, nous sommes dans l’exception. Oui, nous avons du retard par rapport aux Américains. Mais nous n’avons pas les mêmes moyens. Nous avons sans doute parfois voulu faire à l’américaine en oubliant nos propres qualités.

Quant à l’avenir d’Orange Cinéma Séries, ne soyez pas inquiet, nous avons très envie de vous surprendre et de vous faire découvrir de très bons programmes…étrangers…mais aussi français !

Voilà, il ne vous reste plus qu’à regarder Boardwalk Empire chaque dimanche 20:40 sur Orange ciné max à partir du 19 décembre. Je vous invites par ailleurs à aller jeter un coup d’œil au très beau et instructif site Internet de la série et à sa page facebook. Quand à la chronique, elle était déjà là (en attendant la review de la saison complète).