Pour réussir une performance olympique, le facteur clé est la constance dans l’effort, l’endurance de la volonté. Et c’est avec cette endurance et cette constance que les politiciens ont décidé de piloter l’Europe droit dans le mur…
Depuis l’avènement de la criiiiise, deux acteurs se sont dégagés assez rapidement de l’ensemble européen : l’Allemagne, bien sûr, essentiellement dans le rôle âpre de l’ordre, de la morale, de la rigueur et du principal bailleur de fonds pour les pays en difficultés. Et de l’autre côté, la France aura joué un rôle ambigu, tantôt poussant à la roue allemande et cherchant à s’assurer que l’édifice européen tiendra la route aussi longtemps que nécessaire, tantôt essayant de modérer la politique austère d’une chancelière et d’un ministre de l’économie allemands plutôt tatillons sur les questions de budget.
L’année 2010, à ce titre, aura été particulièrement éclairante : finalement, tout se passe comme si Angela Merkel affichait une rectitude de façade, façade sur laquelle on pouvait voir des lézardes provoquées par la clef de bras que semble infliger d’autres dirigeants européens à la chancelière, à commencer par Nicolas.
Ainsi, en mai 2009, on se souviendra sans mal que les principes les plus fondamentaux de la BCE ont été foulés aux pieds dans la peur panique d’un effondrement du bazar : voilà la banque centrale autorisée à racheter très cher les dettes des pays qui n’arrivent plus à écouler leurs bons en carton, ce qui revient, à terme, à booster l’inflation.
Il faut dire que l’inflation, lorsqu’on nage confortablement dans un océan de dettes puantes, c’est bien pratique. Mais voilà : les méchants spéculateurs du marché dont le but est, comme chacun peut le comprendre, de couler des pays pour répandre la misère et la destruction, n’entendent pas se faire lessiver par une inflation provoquée par des états dont le but est, comme chacun peut le comprendre, de sauvegarder les économies des petits contribuables et de distribuer équitablement les richesses et la prospérité.
Bilan : pendant que la clef de bras se poursuit, les dirigeants européens assistent, un peu hébétés, à l’augmentation compulsive des CDS, instruments qui mesurent de façon indirecte la probabilité ressentie d’un défaut majeur sur le pays considéré.
Tout augmente, ma brave dame, surtout les fraises (on est hors-saison) et les CDS (on est en pleine saison). Alors vite, réunissons-nous et décidons de concert de créer un magnifique fonds de réserve européen pour aider les pays en difficultés. Et rendons-le permanent, on ne sait jamais.
Voilà qui est particulièrement rassurant : on va avoir besoin de tout l’argent disponible, vite, et de façon permanente, parce que, comprenez-vous, l’euro est très solide. La subtilité de l’implication est impressionnante.
Notons au passage que ce fonds n’est que la prolongation ad vitam aeternam du fonds d’urgence créé en mai dernier, date officielle de la mort de l’indépendance politique de la BCE, et qui devait s’arrêter courant 2013. Fonds dont on ne sait pas exactement d’où venait l’argent si ce n’est en pures écritures sur différents bilans confus répartis entre les états membres, la BCE et le FMI, tant aucune de ces entités n’a les moyens, actuellement, de sortir autant de billets (750 milliards, tout de même) sans que ça se voie.
D’ailleurs, c’est maintenant officiel, la BCE, se rendant compte qu’elle a prêté un sacré paquet de bon argent tout frais imprimé en échange de petites crottes sèches de pays en déliquescence avancée, elle réclame quelques petits milliards histoire de recapitaliser tout ça dans la décontraction : c’est la période des fêtes, après tout, tout le monde a le droit de faire un vœu. D’ailleurs, les petits et grands enfants qui nous dirigent, s’ils ne croient pas tous au Père Noël, font cependant celui que les contribuables n’y verront que du feu, moyennant une inflation galopante et des remboursements en petite mensualités douloureuses.
Et ça marche : avec un peu de fanfreluche et de paillettes champibulées, on peut facilement faire prendre des vessies pour des lanternes, des accords politiques foireux pour de saines bases économiques, et des billets de monopoly pour du vrai argent. Le tout, c’est d’y croire en fermant les yeux et ses petits poings.
Et quand la monnaie adulée par les innocents aux mains vides se prend des claques, ce n’est pas parce qu’elle ne vaut plus rien, c’est parce que ce sont, là encore, les méchants marchés financiers qui font rien qu’à l’embêter : ils n’ont rien compris à la belle solidarité européenne, et sont juste des méchants.
Pendant ce temps, plus prosaïquement, les agences financières de notation se rendent à l’évidence : la Grèce continue de merder et va encore se voir dégradée tant ses « efforts » sont minimaux, et l’Irlande se prend elle aussi une rétrogradation tant son bilan financier est tendu.
On se demande ce qui, finalement, est le plus angoissant : le fait que les chiffres, têtus, pointent tous dans la même direction, à savoir une inflation galopante, de grands moments de panique et pas mal de misère pour tous, ou le fait, encore plus stressant, que ceux qui nous gouvernent (et les folliculaires groupies qui les relaient) sont complètement à côté de la plaque.
Avec un peu de recul, on ne peut se dire qu’une chose : cette Europe est foutue.