Sarkozy, caricature de lui-même
Si le fond a changé, la forme est invariante, au point d'en devenir gênante. Sarkozy avait du mal, comme souvent, à maîtriser les contractions de sa mâchoire, à éviter de « s'auto-couper » la parole. On le contemplait balayer l'air de ses gestes amples, le doigt souvent tendu, le regard parfois figé sur ses notes. Il mangeait ses mots comme un garçon trop pressé de convaincre. Il avalait ses arguments, caricaturait des sujets complexes, comme s'il cherchait à nous convaincre qu'il avait compris. On pouvait s'amuser, encore une fois, à recenser les exemples répétés à l'identique de précédentes interventions (les pôles de compétitivité qu'il a lancé en 2004, pour sauver la porcelaine de Limoge; la création du crédit impôt recherche contre l'avis des « fonctionnaires » de Bercy). On attendait aussi ses indignations, on fut à peine déçu (« les pôles de compétitivité qui font pas l'travail, on les délabellise ! »). Trois thèmes avaient été choisis pour servir de prétexte aux propos présidentiels : la stratégie spatiale, l'innovation au service des PME/PMI, et la formation.
Pour évoquer la stratégie spatiale, les patrons de Safran et d'EADS insistèrent sur la valeur d'exemplarité de l'industrie spatiale, et le besoin de convaincre les différents Etats partenaires d'investir dans le renouvellement de la gamme des fusée Ariane. Sarkozy écoutait peu, tout occupé à recopier quelques chiffres et idées de la note préparée par ses services. Il était accompagné de Valérie Pécresse, d'Eric Besson et même de Bruno Le Maire, le ministre de l'agriculture mais ancien député du coin... « Je connais bien vos chiffres », commença-t-il. Il s'inquiéta immédiatement de la puissance américaine, qui investirait, selon lui, 6 fois plus que l'Europe dans le domaine spatial. « Je ne vois pas au nom de quoi nous devrions renoncer à affirmer notre leadership français et le leadership européen. Est-ce que l'Europe veut rester en tête, ou devenir une nostalgie ? » Lors de ses déplacements officiels, Sarkozy a toujours l'indignation facile.
Il s'embrouilla un peu. « Nous sommes leader, nous prenons du retard.» L'Europe n'est pas leader, et la France encore moins. Sarkozy se lança ensuite sur « la garantie d'accès autonome » à l'espace pour l'Europe et la France. « C'est pas une question d'égo, c'est pas une question de prestige.» Grammaire mise à part, il a raison sur ce point. « Les technologies de demain, pour l'essentiel, auront besoin d'avoir un accès autonome à l'espace. » Il répéta : « Il n'y a pas d'ambition spatiale sans accès autonome à l'espace, et il n'y a pas d'accès autonome à l'espace sans lanceur » ... Il sourit, regarda autour de lui, conscient d'avoir enfoncé avec énergie et détermination une belle porte ouverte, et s'excusa presque : « pardon... hum.... pour les grandes compétences qui sont présentes autour de la table et dans la salle... mais ... (et il répète) : mon raisonnement est le suivant... il faut qu'on aille de façon autonome dans l'espace... c'est ... c'est incontournable... mais pour cela, il faut qu'on est une filière de lanceurs... une filière forte, une filière efficace... Or qu'est-ce qu'on constate ? C'est qu'il n'y a pas que les Etats-Unis... y a des puissances émergentes colossales... je pense à la Chine, je pense à l'Inde (...) qui nous font une concurrence terrible sur les prix. » Il faut comprendre : ces interventions ne s'adressent quasiment jamais à l'assistance. Sarkozy parle pour dehors, pour le grand public. Il espère qu'on commentera ses grandes déclarations.
La bonne et la mauvaise dette
Les solutions paraissent du coup évidentes : « d'abord le programme de rénovation à mi-vie du lanceur Ariane 5. » Sarkozy annonce que la décision sera prise lors de la prochaine réunion ministérielle de l'agence spatiale européenne pour 2012 avec le soutien de la France et de l'Allemagne : « toute autre décision serait irresponsable.» Mais, « il faut également penser à la succession d'Ariane 5.» Le Monarque ménageait ses effets d'annonce... « je suis venu vous annoncer que dans le cadre du grand emprunt, nous mettons 250 millions d'euros pour travailler sur le nouveau lanceur.» On le voit venir... « et comme je sais qu'en Normandie, on aime mieux ce qui est sur la table que ce qu'on annonce qui va être sur la table, nous allons signer juste après cette table ronde sur ces 250 millions d'euros, 82,5 millions d'euros pour l'étude de ces nouveaux lanceurs.» Le joli chèque !
Il rappela, sans transition, les critiques contre le Grand Emprunt, décidé voici deux ans : « le problème de la France n'est pas de s'endetter pour investir et créer des richesses. Le problème de la France c'est qu'elle s'est endettée pour payer des dépenses de fonctionnement qu'elle n'a pas eu le courage de couper.»
Arrêtons nous quelques instants sur cet argument : comme en 2009, Sarkozy fait croire que son Grand Emprunt est la seule dette utile, sur les quelque 1 600 milliards de dette publique. C'est facile, mais faux. La dette publique recouvre tous les besoins de financement de l'Etat (et pas seulement), non couvert par les recettes publiques. La rénovation des prisons, la modernisation des établissements scolaires, les subventions publiques diverses à l'investissement privé, etc. Secundo, cette même dette publique a cru de quasiment 50% sous les différents gouvernements de droite depuis 2002. Tertio, Sarkozy n'a pas eu davantage le « courage » de couper dans les dépenses, notamment fiscales (cf. les fameuses niches à peine rognées de quelque 12 milliards sur 3 ans dans le cadrage budgétaire présenté par Baroin pour la période 2011-2013).
« Est-ce que je me fait comprendre ? Ce n'est pas l'endettement qui en soi condamnable...»
Sarkozy oublie toujours cette précision essentielle : le niveau de la dette publique française inquiète ... les marchés financiers auprès desquels la France emprunte. Cette pression-là conduite toutes les réformettes actuelles (retraites, sécu, etc) qui rognent peu à peu les services publics du plus grand nombre.
« S'endetter pour investir massivement, maîtriser les nouvelles technologies, avoir un lanceur de pointe, pouvoir accéder de manière autonome à l'espace, et rester une grande puissance industrielle et spatiale, ... », Sarkozy enchaîna les poncifs. Il fallait se raccrocher à la situation du pays, quitter la lune pour revenir sur Terre : « la réponse aux délocalisations, la réponse au chômage, la réponse à l'angoisse des territoires par rapport au tissu économique, c'est l'investissement dans la recherche et l'innovation.»
Sarkozy fustige ... les Telcos
Quelques minutes plus tard, Sarkozy embraye sur les problèmes de financement. Comme souvent, il caricature la filière - comme toujours, pour mieux se faire comprendre : en amont, l'Etat finance « à 100% » la recherche fondamentale. Ensuite, l'industrie, notamment spatiale, en développe les applications. Et en aval, « c'est-à-dire après », d'autres secteurs en « profitent. » « Au sens profit » précisa-t-il... « Je pense notamment au secteur des télécommunications... (...)fantastique... j'veux pas les empêcher de se développer... c'est très bien... j'pose simplement la question : s'ils profitent des infrastructures qu'on a financé à 100%, est-ce qu'on ne pourrait pas, nous, profiter un tout petit peu de leur créativité financière, et de leur contribution spontanée et généreuse ? »
La salle applaudit... Ah, les méchants Telcos qui ne veulent pas payer de nouvelles taxes pour financer la belle recherche spatiale ! La réalité est simple en Sarkofrance. Sarkozy embraya :
« Appelez-le financement innovant ou pas... Mais là aussi...Oh je sais bien l'argument... toujours... la guerre sur le prix bas... attendez... Bien sûr... le consommateur a parfois bon dos... Encore une fois, c'est une idée... cette idée me semble légitime... il ne serait pas anormal que des grands groupes privés français, européens, américains, qui bénéficient de la qualité de l'infrastructure et de la recherche fondamentale française soient à un moment ou à un autre amenés à participer sous la forme de financements innovants des activités spatiales. »
Cette argumentation est symptomatique. Nicolas Sarkozy réécrit l'histoire, même récente. Il cherche en permanence à donner une logique a posteriori à des décisions disparates.
Il paraît qu'il est le président de la cinquième économie du monde.