Il a neigé grave chez nous ces derniers temps, et comme je n'ai pas terminé la publie que je vous destinais pour cette fois-ci (mon fumier d'employeur m'exploite comme un négrier. Attends mon cochon, tu vas voir cette augmentation de salaire que je vais te soumettre en janvier), je vous joins donc un ersatz en substitution: de belles photos et une jolie histoire, ou plutôt un conte, que vous pourrez lire aux zenfants sages la nuit de Noël, devant un feu de cheminée crépitant. Attention, c'est un ersatz, mais pas de la daube frelatée non plus, un vrai conte bien beau avec une morale en fin. Ce conte a été écrit à l'origine par "Jaromír Nohavica", et parce qu'il m'a fait bien rire (je suis resté très jeune vous savez), je me suis permis d'en faire une traduction libre afin de vous en faire profiter itou.
Quant aux photos, ben ce soir-là, je me suis dit qu'avec toute cette neige fraîche, je ne pouvais pas ne pas sortir photographier. Alors j'ai fait le tour de mon petit quartier, "Malá Strana", et j'ai clic-claqué les jolis monuments qu'on a là, avec trépied (indispensable), optique 2,8F et filtres d'hiver (divers). Evidemment, je ne fus pas le seul à avoir reçu la même idée, aussi nombreux amateurs auront sans doute déjà posté leurs clichés sur le Net depuis longtemps. Mais je ne crains point leur concurrence, parce qu'avec leurs mini-appareils, la lentille pourrie qu'il y a dedans, l'absence de statif, je n'imagine pas un instant qu'ils eussent pu réussir des photos nettes, contrastées et vivantes comme les miennes qui sont plus belles. J'avais bien de la peine pour eux je dois dire, grelotter de froid et se rendre compte une fois devant l'ordinateur que les photos sont à jeter. Quelle peine. Bon, et maintenant le conte donc...
Turaluile et Turalo, 2 lapins copains comme cochon, décidèrent un beau lundi, qu’il était grand temps de mettre un peu d’ordre dans leur pétaudière, que c’était le printemps, et qu’au printemps tout le monde fait sa grande lessive, et qu’ils allaient donc dégraisser leur gourbi sous-terrain qui en avait grand besoin. Tu m’étonnes, pendant l’hiver, ils avaient accumulé moult breloques qu’ils avaient trouvées à travers champs, comme des bouts de verre en couleur, une bretelle élastique, 2 cure-dents, un ballon gonflable, des billes de verre, 12 tickets de tram praguois, 3 chewing-gum même pas mâchés, un vieux bonnet sans pompon... enfin un fourbi énorme dont tous les lapins ont un indispensable besoin pour vivre sereinement. Sauf que maintenant, ils ne pouvaient plus bouger dans leur tanière, et il était grand temps de gérer cette situation.
Du coup, ils eurent l’idée qu’ils iraient tout vendre au bric-à-brac, et qu'avec l’argent gagné, ils s’achèteraient un nouveau smart-phone. Ils embarquèrent alors tout leur foin sur la brouette empruntée au blaireau, et hop, dare-dare en ville. Sauf que l’homme est une bête en affaires, et ce n’est pas simple de marchander avec. Que soit disant le brocanteur n’avait point besoin de toutes ces futilités, et que les lapins pouvaient aller directement tout fout’ à la poubelle. Lapin Turaluile et lapin Turalo s’offusquèrent:
- "Quoi, des bouts de verre en couleur une futilité?" s'agaça Turaluile, "le soleil est rouge, puis vert, et même bleu si vous voulez, tiens, regardez-voir à travers par toi même!"
Et Turalo de rajouter: "une belle agate en verre de 5 couleurs comme celle-là, vous pouvez l'échanger facile contre 10 billes en terre, au moins, alors hein, qu'est-ce que vous en dites?"
Mais le brocanteur n'en démordait pas, et ne le voilà-t-il pas qu'il raccompagnait le gibier vers la porte. Dépités et chagrins, les lapins s'en retournèrent vers leur champ de trèfles.
Mais, en chemin, ils rencontrèrent Roublarre le renard:
"Ben les gars, z'en faites une tête, comme si on vous avait augmenté l'âge du départ en retraite. Qu'est-ce qui se passe?"
"M'en parle même pas" répondirent en coeur les lapins, et de lui dépeindre céans la situation.
"Eh alors? Eh facile," qu'il leur dit le renard, filou notoire, "z'organisez une course d'obstacle en sac, ou un truc du genre. Et les prix pour les gagnants, ben vous les avez déjà, y a plus qu'à distribuer" dit-il, en montrant la pleine brouette d'objets divers.
Ben tiens, l'idée était certes bonne, puisque après l'hiver les animaux sont tout engourdis et qu'un brin d'exercice ne leur fait aucun mal, cependant le renard avait une tout autre idée en tête. Présomptueux, il pensait qu'il allait gagner tous les lots, et il se voyait déjà dans sa tanière contempler les verres de couleurs, les billes, le ballon, et les tickets de tram, jouissant d'heur et de satisfaction.
"Lapins crétins" rigolait-il dans sa barbe de goupil.
Le concept cependant plut aux lapins, aussi se mirent-ils immédiatement au travail. Tout d'abord ils gravèrent une grande pancarte sur une écorce de bouleau, comme quoi "ce dimanche à 14h, sera organisé sur le champ de trèfles un après-midi sportif, autrement dit une olympiade, composée de nombreuses disciplines comme de lots." Genre qu'ils viennent nombreux ceux qui ont le temps, qu'il y aura rigolade et distribution de prix. Evidemment, la nouvelle trouva écho dans toute la forêt, et tous se réjouissaient déjà d'impatience.
Jusqu'à dimanche, il ne restait plus que quelques jours, et tous s'entraînaient de toutes leurs forces afin de ne pas recevoir la honte de la défaite. Seul Roublarre le renard roupillait dans sn trou en rigolant sournoisement, persuadé de remporter la victoire dans toutes les disciplines.
Et c'est dimanche! Et tous les animaux se pressent sur le champ de trèfle de tout côté, accompagnés de leurs proches et de leurs amis, venus les soutenir. Certains même se sont cousus des maillots. Les grillons et les cigales chantent des chansons guillerettes pour accueillir la foule. Bref, un grand évènement sportif s'il en est. En quelques instants, le champ est plein, et l'on peut commencer les épreuves. Mais avant, les lapins prennent la parole, afin d'expliquer que tout le monde est le bienvenu, mais qu'il va falloir jouer fair-play, que pas de triche ni de filouterie, que c'est pas du foot, etc, etc...
Pis sonne la fanfare, et les jeux commencent pour de bon. Roublarre le renard est inscrit dans toutes les disciplines, parce que comme déjà dit, il entend fermement récupérer tous les prix. Et nos animaux, de se masser les muscles au baume St Bernard, de faire des pompes et des accroupissements, tout en se badigeonnant les pates au magnésium afin qu'elles ne glissent. Sur le champ repose une grosse souche, et celui qui la soulèvera le plus de fois sans s'arrêter sera déclaré vainqueur. Alors le renard de se dire: "ha ha ha, puisqu'auparavant j'étais capable de soulever une valise pleine de jambon, la souche, ça va être du gâteau." Eh oui, sauf "qu'auparavant", c'était il y a 5 ans, et qu'entre temps ses muscles s'étaient engraissés de faignantise. Bien entendu, il ne bougea pas la souche d'un pouce, et tous les animaux se moquèrent de lui. L'ours remporta tout naturellement la médaille d'or, et ce fut ainsi pendant toute l'après-midi.
Dans l'épreuve du saut d'arbre en arbre, le renard prit son élan si mollement, que non seulement il n'atteignit pas la branche la plus proche, mais il alla se croûter dans les ronces, se dardant la couenne d'épines. Dans la course en longueur, il se fit doubler non seulement par la biche, ce à quoi il pouvait s'attendre, mais aussi par la taupe, ce qui était une honte sans nom. Dans l'épreuve du lancé de pomme de pin, Roublarre atteignit la tête de Turalo plutôt que la cible, et sans l'intervention empressée de l'équipe de sauvetage des loutres et des canards, notre goupil se serait noyé dans la mare du héron lors des épreuves de natation. Il semblait évident que notre renard ne remporterait pas un seul prix. Eclopé, piqué, trempé et crevé, Roublarre le renard se traînait avachi à travers le champ la larme à l'oeil. Il se sentait comme un con. "Vivement que je rejoigne ma tanière" se disait-il penaud. "Ben alors?!", et Turaluile de courir derrière le fanfaron, et de le tirer par la manche pour le faire revenir dans le pré. "Reviens Roublarre, les Olympiades ne sont pas terminées. Il reste encore le jeu de mémoire, le clou de l'après-midi." Mais le renard n'avait plus envie. "Tu sais Turaluile, je suis une telle andouille grasse. Je pensais que je ne sais quoi, et regarde comment tout s'est terminé". "Ca, c'est parce que t'es allé te fiche là où que tu n'avais pas ta place." Le consolait Turaluile. "Qui aurait pu croire que le renard sauterait plus loin que l'écureuil, serait plus fort que l'ours, ou nagerait plus rapidement que la loutre? Tu voulais rafler tout, et tu n'as rien. Mais l'espoir meurt en dernier, Roublarre, hop, au jeu de mémoire!"
Les lapins déposèrent sur l'herbe les cartes du jeu sur le thème "les voitures de légende", et les adversaires prirent place tout autour: le blaireau, le chat, le chien et notre goupil. Le blaireau commença très fort, en retournant les 2 "Cadillac DeVille convertibles" suivies des "Volkswagen Transporter". Le chat fit une erreur, le chien retourna la mauvaise carte, et ce fut au tour de Roublarre le renard de jouer. "Aston Martin DB5, James Bond" criait-il en retournant les cartes les unes après les autres. "Mini Cooper S", où es-tu ma chérie? Là et là. Rien ne pouvait l'arrêter. Le chat se tordait les moustaches, le chien haletait comme une bête, et le blaireau roulait des mirettes comme une poule qui aurait trouvé un couteau. Le renard leur mit une raclée en ramassant 25 paires, et tous applaudirent le vainqueur. Les animaux s'accordèrent même à oublier son comportement vaniteux et lui remirent son prix bien mérité: un plein carnet de 12 tickets de transport.
Lorsqu'ils se séparèrent en fin de journée, après cet agréable après-midi, tous les animaux sollicitèrent les lapins afin qu'ils réitèrent un tel évènement le prochain dimanche, et Turalo et Turaluile resplendirent de bonheur que tout se soit si bien déroulé.
Roublarre le renard voyagea le reste de la semaine en tram, et alla jusqu'à l'autre bout de la ville, inviter son frère au jardin zoologique où il habitait, afin de fanfaronner de sa victoire. Mais il ne fanfaronna qu'un peu, car il sait dorénavant que l'orgueil précède la déchéance. Quant aux lapins Turaluile et Turalo, ils envisagent déjà d'organiser une grande partie de scrabble dimanche prochain.
Libre interprétation d'un conte de Jaromír Nohavica.