Herman, Paul et Jean de Limbourg
(actifs en France entre 1399 et 1416),
Saint Paul voit un chrétien tenté, c.1405-1408/09.
Encre, tempera et feuille d’or sur parchemin,
23,8 x 16,8 cm, Belles Heures du Duc de Berry,
New-York, Metropolitan Museum.
Le Manuscrit 564 de la Bibliothèque du Musée Condé, plus connu sous le nom de Codex Chantilly, a déjà suscité nombre d’explorations, plus (Ferrara Ensemble, Tetraktys) ou moins (Organum) réussies, de la part des musiciens médiévistes. C’est aujourd’hui au tour de l’ensemble de voix de femmes De Cælis, auquel on doit également une belle version de la Messe de Tournai (Ricercar), de se confronter aux musiques complexes préservées dans ce recueil et de nous en offrir un choix dans le cadre d’une anthologie intitulée En l’amoureux vergier que vient de publier Æon.
Que s’est-il passé en France entre le milieu du XIVe siècle et le tout début du XVe, période dans
laquelle s’inscrivent les musiques conservées dans le Codex Chantilly ? Comme je l’écrivais récemment dans un
billet consacré à la Messe Notre-Dame de Guillaume de Machaut (c.1300-1377), nous avons quelquefois du mal à imaginer les bouleversements intervenus, autour de 1320, dans la
façon de penser la musique qui parut trancher si radicalement avec le passé que ses théoriciens la nommèrent Ars nova – l’idée de nouveauté ayant, au Moyen Âge, une toute autre portée
qu’aujourd’hui – et qui émut même le pape en personne. Les musiciens des générations suivant celle de Philippe de Vitry (1291-1361) ou de Machaut, pour ne citer que deux des représentants les
plus célèbres de l’Ars nova, se servirent des innovations de leurs prédécesseurs pour élaborer, à partir des années 1360-70 environ, des musiques de plus en plus complexes et
recherchées, frôlant parfois, à l’image des chantournements ostentatoires qui gagnaient, au même moment, l’art de Cour, la préciosité ; cette manière, qui perdurera jusqu’au début des
années 1400, a été nommée Ars subtilior par la musicologie moderne, un terme sujet à caution mais qui permet de fixer les idées.
Pour servir ce répertoire complexe, les interprètes doivent réunir un certain nombre de qualités, comme la clarté de la
diction, la discipline et la souplesse vocales, mais aussi la sensibilité, toutes nécessaires pour rendre compte avec exactitude de la complexité de la musique sans qu’elle se résume, pour
autant, à un exercice spéculatif aride, travers dans lequel était malheureusement tombé Organum. L’ensemble De Cælis (photo ci-dessous), dirigé par Laurence Brisset, me semble avoir trouvé un
très bel équilibre entre rigueur et sensualité, et sa lecture des seize pièces qui composent En l’amoureux vergier se signale tant par son raffinement que par sa vitalité. La mise en
place ainsi que la conduite des voix, à l’intonation d’une parfaite justesse, ont été soigneusement réglées, ce qui permet aux chanteuses de surmonter sans effort apparent les pièges tendus par
des partitions aussi difficiles que Fumeux fume de Solage, aux chromatismes sans cesse mouvants.
En l’amoureux vergier est donc une très belle réalisation, que je conseille à qui souhaite se familiariser avec l’Ars subtilior dans d’excellentes conditions. Il confirme la qualité du travail de l’ensemble De Cælis et l’on espère retrouver rapidement ces chanteuses dans le répertoire médiéval que leur sensualité et leur discipline servent à merveille et où il reste encore tant de découvertes à effectuer.
De Cælis
Angélique Mauillon, harpe, Guillermo Pérez, organetto
Laurence Brisset, chant & direction
1 CD [durée totale : 64’21”] Æon ÆCD 1099. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Vaillant, Par maintes foys, virelai (fol. 60)
2. Solage, Fumeux fume par fumee, rondeau (fol. 29)
3. Senleches, La harpe de mellodie, virelai (fol. 43v.)
Illustrations complémentaires :
Baude Cordier, Belle, bonne, sage, Manuscrit 564, fol. 11v., Chantilly, Musée Condé.
La photographie de l’ensemble De Cælis est de Thierry Demarquest, tirée du site Internet de De Cælis.