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Développeurs : à quel âge serez-vous trop vieux ?

Par Daxlebo

De plus en plus de jeunes se retrouvent à des postes à responsabilité dans le secteur des nouvelles technologies et du Web (c'est mon cas). Un candidat m'a interpellé récemment : comment faire, quand on a quarante ans, pour être embauché par les "requins" frais émoulus ? Quels sont les principaux préjugés des recruteurs à l'égard des "vieux" et comment les surmonter ? Que faut-il mettre sur son CV et que faut-il cacher ? Voici quelques éléments de réponse tirés de ma propre expérience.

Le groupe associatif qui m’emploie a vocation à être exemplaire dans sa pratique sociale. Parité hommes-femmes, accueil de handicapés, non-discrimination envers les « minorités visibles », chance laissée aux « accidents de parcours » et aux changements de cap. L’idée que la volonté (de s’en sortir) doit primer sur la naissance nous accompagne à chaque recrutement, même s’il est difficile d’atteindre la perfection dans ce domaine. J’ai toujours tenté d’être exemplaire sur ces points, et je ne l’ai jamais regretté. Ma petite équipe a toujours été diversifiée et complémentaire et je souhaite qu’elle le reste.

Il y a pourtant un ilôt d’inégalité qui subsiste dans ma pratique. Je ne m’en étais pas forcément aperçu, jusqu’à ce qu’un candidat non retenu (il s’est présenté trop tard, le poste étant pourvu), qu’on appellera Didier, ne m’interroge sur les possibilités qu’offre le secteur associatif à un développeur Web de 40 ans. A la lueur de nos échanges, Didier a le profil idéal : motivé, techniquement compétent, rôdé au développement pour le Web, il s’exprime bien et aborde les questions avec intelligence. Pourtant, son CV n’aurait probablement pas été retenu. Moi, jeune con de 27 ans, j’ai aujourd’hui le pouvoir de refuser à un aîné le droit de travailler parmi nous, et il n’est pas si rare que cette responsabilité lourde soit confiée à des individus de ma classe d’âge.

Pourquoi refuser les « vieux » (note : le terme « vieux » n’a rien de choquant en soi, auparavant on parlait de « vieillard » avec respect ; c’est justement le jeunisme qui rend le mot péjoratif) ? Je pourrais me défendre en invoquant la tradition, la politique de recrutement plutôt jeune, mais ce serait facile. La position de recruteur vous donne une responsabilité dont il est aisé de se défausser. Le poste que vous souhaitez pourvoir a des exigences. L’organisation qui vous embauche a des attentes, des présupposés. Parfois explicites, écrits sur une fiche de poste ; d’autres fois très implicites, soit parce qu’ils sont honteux et discriminatoires, soit simplement parce qu’ils sont difficiles à exprimer. Lorsqu’un candidat n’est pas retenu, on aura plutôt tendance à dire : « vous ne correspondez pas aux critères de la boîte » que « je n’aime pas votre tête ». Pourtant, le rôle d’un « responsable » implique une capacité à raisonner par soi-même, à choisir, à décider, y compris lorsque ces choix diffèrent de ceux de la hiérarchie. Moralement, c’est donc généralement par lâcheté qu’on se défausse de ses décisions en invoquant la « politique de recrutement » de l’entreprise. Ou alors c’est qu’on est un clone sans libre-arbitre, ce qui n’est guère plus attrayant.

En réfléchissant bien à cette situation, j’ai compris que j’avais (mais je ne pense pas être le seul dans ce cas) un certain nombre de préjugés sur les développeurs plus âgés. Voici les principaux préjugés qui me viennent à l’esprit. L’objectif, c’est de démonter ces préjugés ou de trouver des clés pour les vaincre à l’avenir. Par altruisme, mais aussi par intérêt personnel. Parce qu’on finira tous par y arriver, et qu’il faudra faire face aux préjugés des jeunots d’en face.

Préjugé 1 : les vieux travaillent sur du Cobol

Caractère récurrent du secteur de l’informatique, l’obsolescence des connaissances est un vrai souci pour valoriser l’expérience auprès des employeurs. Si vous avez débuté l’informatique avant l’invention du PC, la plupart des jeunes loups imaginent que vous êtes resté bloqué aux technologies de la préhistoire, Cobol et Basic, DOS et Atari 2600, que votre maison est un musée et que personne ne vous a tenu informé de l’invention du Web et des smartphones. Certes la plasticité cérébrale est moindre à 40 ans qu’à 18, mais avoir un vécu ne signifie pas qu’on reprendra toute sa vie les mêmes recettes pour régler toutes les questions nouvelles. A vous de prouver que vous avez su adopter les nouvelles technologies dans leurs bienfaits, et que votre expérience vous donne un regard avisé sur leurs désagréments.

Comment s’en débarrasser :

  • raccourcir les étapes les plus archaïques de votre CV ;
  • reformuler les références techniques obsolètes avec des mots-clés du développement Web actuel (« utilisateur », « asynchrone », « ergonomie », « communautaire », « server-side ») ;
  • vous créer un book de technos à la mode : Ruby on Rails, Ajax, XHTML+CSS ;
  • animer un site de réseaux sociaux Web 2.0 ;
  • tenir un blog dédié aux gadgets technos ;
  • publier des articles sur des sites de veille technologique…

Il faut que votre nom soit associé à la veille et à l’innovation. Sans tomber dans l’angélisme , ni dans le rejet pur et simple. Ainsi, si vous êtes convaincu intimement que toutes ces nouveautés sont des gadgets éphémères et que leurs utilisateurs sont des crétins, il vaudrait mieux ne pas le crier trop fort devant votre recruteur.

Préjugé 2 : les vieux ne peuvent être que chefs de projet

Chaque jeune décideur a dans un coin de son crâne une certaine idée de l’ascension sociale. On démarre stagiaire, puis assistant à l’exécution, puis exécutant, puis assistant au responsable-chef de projet, puis chef de projet, etc. Dans ce schéma mental calqué sur son projet de carrière, l’idée d’avoir un exécutant de 40 ans est dérangeante. Est-ce un échec ? Un manque d’ambition, d’objectifs ? Cette personne est-elle incapable de suivre l’ascension prévue, normale, codifiée ? Ce serait oublier que tout le monde n’aspire pas au même rêve. Que certains sont d’excellents techniciens mais n’ont pas envie de diriger une équipe. Que l’on peut « se contenter » (même le vocabulaire est péjoratif) de produire un travail de haute qualité, sans nécessairement briguer le fauteuil de chef. Ou encore, que l’envie peut exister mais que les conditions (expérience, formation, chance) n’ont pas encore été réunies pour que la personne formule cette demande.

Comment s’en débarrasser :

  • être clair sur vos objectifs professionnels ;
  • donner de l’envergure à votre métier, en valorisant par ex. votre passion pour les projets complexes, pour le travail bien fait, votre créativité dans la résolution de problèmes techniques..

Il faut que l’ambition transparaisse (les recruteurs aiment l’ambition) même si elle ne s’applique pas strictement à votre plan de carrière (de toute façon les recruteurs n’aiment pas les carriéristes qui menaceraient leur place).

Préjugé 3 : les vieux sont gourmands

Même si les faits démontrent parfois le contraire, nous avons la conviction que les salariés plus expérimentés sont plus chers, plus exigeants, plus gourmands. Il est certes plus aisé pour un salarié expérimenté, qui a connu cinq ou dix entreprises et des dizaines d’entretiens de recrutement, de négocier sa rémunération, que pour le jeune diplômé lâché dans le monde du travail. Mutuelle, tickets restaurant, avantages en nature, syndicalisme ; et le jour où ça tourne mal, prud’hommes, indemnités, guerre avec l’employeur… Les employeurs se méfient des candidats trop informés sur leurs droits. Comme me le suggérait Didier par e-mail, les jeunes sont jugés plus « malléables » : en réalité, ils sont exploités à la mesure de leur ignorance du droit du travail.

Comment s’en débarrasser : sans étouffer vos prétentions salariales ou vos interrogations sur les avantages secondaires, soyez prudent.

  • N’affichez pas un chiffre mirobolant dès le premier e-mail en prévoyant de négocier à la baisse plus tard : votre CV risque de passer à la trappe au premier coup d’œil.
  • En revanche, si vous avez une expérience spécifique qui justifierait votre embauche par rapport à un jeune diplomé, profitez de l’entretien pour la faire valoir.
  • Sur les avantages, laissez le recruteur aborder ces questions ou posez la question en dernière instance, au moment de partir.

Préjugé 4 : les vieux sont ingérables

En élargissant les préjugés précédent, on trouve cette somme de clichés inquiétants : les vieux sont expérimentés (donc plus attentifs aux erreurs du management), plus rôdés à la marche des entreprises (donc plus difficiles à convaincre), plus ancrés dans leurs habitudes (donc réticents au changement), plus sceptiques sur les modes éphémères (donc difficiles à motiver). Fossé des générations ? En fait, c’est surtout la peur et l’inexpérience des jeunes recruteurs qui transparait dans ces clichés. Car recruter quelqu’un qui pourrait être votre père ou votre mère, c’est une situation à laquelle l’éducation ne nous a pas préparés. Certains se sentent menacés par l’expérience d’un employé plus âgé. Pour ces raisons, une organisation qui confie des responsabilités importantes à des jeunes aura spontanément tendance à recruter d’autres jeunes, par mimétisme, par facilité. Nouvelles recrues qui, au fil du temps, se verront confier des responsabilités croissantes jusqu’à devenir recruteurs à leur tour et perpétuer la boucle…

Comment s’en débarrasser : difficile à dire, puisque c’est l’état d’esprit des recruteurs qui est en cause. D’abord, il ne faut pas se disqualifier d’avance en insistant sur son âge dans le CV ou la lettre de motivation. Pourquoi ne pas masquer cette information « discriminante », ce qui est plus facile que pour les « CV anonymes » employés pour éviter la discrimination au patronyme ? Ensuite, lors de l’entretien, il faudra répondre aux angoisses que j’évoque ci-dessus. Sans renier votre personnalité, il faut réfuter les préjugés les plus infondés, convaincre que l’idée d’être encadré par une personne plus jeune n’est pas un handicap, au contraire. L’exercice est difficile, et il dépendra autant de votre approche que des attentes et de la psychologie de votre interlocuteur.

Derniers conseils

Je ne prétends pas donner une recette magique, ni parler au nom de l’ensemble des recruteurs, mais il est difficile aujourd’hui de trouver un emploi technologique passé quarante ans et je pense qu’il est important de connaître les embuches pour mieux les surmonter. Il n’est surtout pas question d’abdiquer ses différences, de forcer des hommes et des femmes matures de mimer leurs cadets. Mais toute œuvre de séduction (le recrutement est une forme de séduction réciproque) suppose de trouver des ressemblances et de mettre en scène les complémentarités.

Le jeunisme ambiant est le système dominant et les valeurs traditionnelles de la vieillesse (vécu, réflexion, tempérance) sont disqualifiées, surtout dans le secteur des nouvelles technologies. Pourtant, si ce domaine continue de vous attirer, c’est que votre soif de nouveauté est vivace. Que le changement perpétuel ne vous effraie pas. Soyez à l’image de ce secteur : montrez combien vous êtes capable de changer, d’évoluer, de remettre en cause vos schèmes de pensée. Suivez une formation (en profitant du DIF si vous êtes encore employé), animez des blogs, ayez un regard affuté mais critique. Séduisez le jeune cadre qui vous fait face, et rassurez-le sur sa capacité à vous gouverner. Ce n’est qu’un enfant, après tout.

Voilà quelques idées qui sont loin d'être exhaustives. Si vous avez une expérience à évoquer, des idées à suggérer pour compléter cette liste, n'hésitez pas à commenter ci-dessous.


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