La première salve est venue d’une chronique intitulée «Nos amis du désert» publiée le 6 décembre par The Hill, la très influente gazette spécialisée dans les affaires liées au Capitole. Elle est signée par David Keene, le président de l’American Conservative Union (ACU), la plus puissante organisation de droite américaine. Il y défend mordicus les thèses du Polisario, au point d’affirmer que le mouvement de Mohamed Abdelaziz est… pro-américain et que les réfugiés des camps de Tindouf «vivent sous une constitution écrite unique dans les pays musulmans qui garantit le droit de vote et l’égalité entre les hommes et les femmes».
L’article de Keene a fait les choux gras de la presse algérienne et, bien entendu, a été traduit et diffusé sur de nombreux sites internet animés par des Sahraouis indépendantistes qui n’ont pas manqué de souligner la stature politique de l’auteur. Ce qui n’est pas dit par contre est que l’«engagement» de Keene pour la cause sahraouie n’est pas altruiste. Comme beaucoup d’autres politiciens à Washington, Keene est un lobbyiste professionnel. Sa spécialité? Le «pay for play » (payer pour jouer) auprès du cabinet Carmen Group, une pratique lucrative pour ceux qui louent leur cardex à des entreprises, des groupes de pression ou des gouvernements. Mieux, dans son milieu, Keene a une réputation bien sulfureuse: on lui reproche son ambigüité lorsqu’il s’agit de défendre la ligne politique de son mouvement ou celle de ses clients, de ne pas faire état de son appartenance au Carmen Group lorsqu’il écrit ses articles pour The Hill, alors que cette publication reçoit d’importants subsides publicitaires du même Carmen Group. Un éditorial au vitriol de la National Review dépeint les louvoiements de David Keene au gré des intérêts parfois contradictoires qu’il défend.
Un scoop du journal Politico prouve que David Keene, sous couvert de l’ACU, monnaye ses chroniques hebdomadaires publiées dans The Hill. Une lettre confidentielle envoyée à l’entreprise FedEx pour la convaincre d’accepter une offre de lobbying le prouve noir sur blanc. La lettre expose la pratique de certains groupes politiques de prendre des positions non pour des raisons de pur principe, comme pourraient le penser leurs membres et supporters, mais surtout parce qu’un sponsor débourse les fonds nécessaires. D’ailleurs, dans le cas d’espèce, FedEx a refusé la proposition et Keene s’est alors rangé du côté de son concurrent UPS…
David Keene se défend d’avoir été payé pour l’article qui tresse des lauriers au Polisario ou qu’il a été «spécifiquement» mandaté par l’Algérie pour défendre les intérêts des irrédentistes. Une réponse normande pour cet expert en ambivalence qui a été chargé du dossier algérien chez Carmen Group en 2006. Sa mission entre autres comme l’avait révélé le Washington Post était d’«apporter un support médiatique aux intérêts de l’Algérie et de ses objectifs politiques». En tant que gestionnaire associé de Carmen Group, Keene visait à créer un «caucus algérien» au sein du Congrès et à être disponible pour des consultations téléphoniques sur demande de l’ambassadeur algérien à Washington. The Townhall révèle aussi que «David Keene était appelé à voyager en Algérie si nécessaire en classe affaire et avec les honneurs dus à un officiel de haut rang». En contrepartie, Alger avait déboursé 320 000 $ à Carmen Group. David Keene qui prétend n’avoir plus de liens avec Alger mène depuis un an une campagne acharnée contre les projets de loi américains favorisant l’usage des énergies renouvelables: Il reçoit pour cela de l’argent de pétro gouvernements dont l’Algérie.
En réplique à la chronique de David Keene, le Maroc a activé Robert Holley qui devait, deux jours plus tard, démonter ses arguties dans les colonnes du même journal. Holley a signé son article «La chronique de Keene déforme la vérité sur le Maroc» en tant que directeur exécutif du Moroccan American Center of Policy (MACP), une plate-forme de lobbying mise en place avec le parrainage de Mohammed VI. Le MACP est devenu, depuis l’abandon du Plan Baker pour le Sahara, une vraie machine de propagande mais aussi de gros sous pour ses promoteurs. Il se définit comme un «agent du gouvernement marocain» dont la mission s’articule autour de plusieurs objectifs dont pêle-mêle «aider le Maroc dans son effort de démocratisation», «promouvoir le fait que le Maroc est un supporter de la politique américaine au Moyen-Orient (…) et dans la lutte contre le terrorisme».
Robert Holley est un professionnel du «revolving door», une reconversion qui permet à de hauts fonctionnaires de l’administration américaine de mettre à disposition de clients de marque leur vaste réseau d’influence, patiemment constitué au long de leur carrière publique. Dans ce sens, le Maroc s’est spécialisé dans le recrutement d’anciens diplomates américains qui étaient en poste à Rabat comme les anciens ambassadeurs Marc Ginsberg et Edward Gabriel. Si le premier s’est consacré à faire la promotion du royaume auprès des multinationales américaines, le second s’est recyclé officiellement dans le lobbying politique.
Holley était quant à lui le conseiller politique à l’ambassade américaine à Rabat à la fin des années 90. Il a notamment été le rédacteur des fameux rapports du Département d’Etat sur la situation des droits de l’Homme au Maroc, et qui avaient alors donné de l’urticaire au Palais. Petite anecdote croustillante, Holley s’était plaint avec véhémence en décembre 1999 du fait qu’il était constamment filé par des agents de la DST marocaine alors qu’il était le rapporteur du gouvernement américain au sujet des premières poussées de fièvre à Laâyoune. Son témoignage figure toujours en bonne place sur les documents de propagande du Polisario. Depuis, il a épousé les thèses marocaines sur le conflit et s’est inscrit sur les tablettes du Département de la Justice américain comme lobbyiste attitré du royaume.
Ali Amar