Article originellement publié sur UnMondeLibre.org
Le 15 décembre 2010. Non seulement la récession actuelle est inhabituellement profonde et grave, mais elle est sur le point de devenir la plus longue depuis la Grande Dépression. Le marché boursier s’est effondré, les grandes banques ont implosé, le marché du logement aux Etats-Unis est en dépression, les saisies sont en accélération, les faillites personnelles sont en hausse et le taux de chômage est toujours à deux chiffres. Dans le même temps, la Réserve fédérale américaine est en train de créer de la monnaie à un rythme sans précédent dans l’histoire, dans le but de « stimuler » l’économie.
Thomas Woods, docteur en histoire de l’université Columbia et membre du corps enseignant de l’Institut Ludwig von Mises, démontre dans « Meltdown » (traduit en français sous le titre « Débâcle »), que la crise actuelle est précisément causée par la politique d’argent facile des banques centrales et qu’elle est aggravée par les dépenses publiques massives des gouvernements. L’auteur argumente en faveur d’un marché libre comme seul moyen d’empêcher qu’un effondrement ne se reproduise. « Si vous croyez dans le marché libre, vous ne pouvez pas soutenir la Fed, l’une des interventions les plus intrusives sur le marché », écrit Thomas Woods. Dans cette perspective, la crise du « subprime » n’est pas une crise du marché. C’est au contraire quand le marché a disparu que la crise a commencé.
Il faut rendre hommage à la maison d’édition Valor qui a eu la bonne idée de faire traduire et de rendre ainsi accessible au public français, peu anglophone, ce petit trésor de vulgarisation de la théorie autrichienne. Ce livre n’est pas un énième livre sur la crise. C’est un véritable manuel d’initiation à l’histoire économique en général et à l’école autrichienne d’économie en particulier. Peut-être avez-vous vu le clip de rap Hayek versus Keynes ? Toutefois vous n’êtes pas bien sûr d’avoir tout compris. Le livre de Thomas Woods vous expliquera l’essentiel, avec une clarté remarquable et autant d’humour.
Le récit conventionnel des origines de la crise
D’où vient la crise ? Deux récits s’opposent. Pour le premier, tout a commencé avec Reagan et Thatcher, avec la déréglementation et la dictature des marchés. La crise serait une conséquence de l’économie de libre marché. Ainsi, le 25 septembre 2008, dans son premier discours sur la crise, Nicolas Sarkozy appelait à « remettre à plat tout le système financier et monétaire mondial, comme on le fit à Bretton Woods après la Seconde Guerre mondiale ». Selon lui, « le laissez-faire est terminé, le marché tout-puissant qui a toujours raison, c’est fini » On retrouve même de tels propos sous la plume d’économistes célèbres comme Nouriel Roubini.
Selon ce récit, il existe deux remèdes à la crise. Le premier est la réglementation à grande échelle du système bancaire mondial tout entier. Le second, est d’injecter le plus d’argent possible dans l’économie, afin que les consommateurs recommencent à dépenser. La consommation permettrait la relance, car elle génèrerait de la production et donc de l’emploi. L’idée ne semble pas mauvaise, en apparence. S’il n’y a pas encore de reprise de l’emploi – comme c’est le cas jusqu’à présent – c’est seulement parce que le gouvernement n’a pas encore assez injecté d’argent dans le circuit.
Une alternative plus cohérente
Tel n’est pas l’avis de Thomas Woods. Selon lui, il existe une alternative intellectuellement plus cohérente à ce récit conventionnel, défendu par la majorité de la classe politique et médiatique. Ce récit alternatif s’appuie sur la théorie autrichienne des cycles économiques. Ainsi Hayek a démontré que les cycles économiques sont provoqués par les banques centrales qui, en maintenant les taux d’intérêt trop bas et le crédit en expansion, incitent les investissements non rentables, la création d’une bulle de croissance artificielle, inévitablement suivie par un krach. Quand la main visible de la Réserve fédérale manipule les taux d’intérêt, elle fausse l’offre de crédit et dénature les possibilités d’investissement pour les entrepreneurs, ce qui conduit à la mauvaise allocation des ressources.
Dans cette perspective, ce n’est pas la déréglementation, mais bien la réglementation financière et la manipulation de la masse monétaire par la Réserve fédérale américaine qui est à l’origine du krach de 2008. Au cours de la dernière décennie, la Fed a multiplié les baisses des taux d’intérêt pour conjurer le ralentissement de 2000-2002, après l’éclatement de la bulle technologique et les attentats du 11 septembre. A partir d’un bref historique des récessions (1920-1921 aux Etats-Unis, la Grande Dépression, les années 90 au Japon), Woods démystifie les superstitions économiques et suggère des étapes vers un meilleur système. Quelles sont d’abord ces superstitions ?
Sans entrer dans l’argumentation de l’auteur (nous renvoyons au livre), voici quelques fausses idées qu’il réfute :
• Il faut combattre la déflation
• L’inflation est une hausse des prix
• La guerre peut apporter la prospérité
• Les grandes entreprises et les grandes banques sont « too big to fail ».
• La Fed devrait injecter plus de crédit
• Il faut stimuler l’économie par la consommation et les travaux publics
• Un système d’étalon-or est inadapté à l’économie moderne
Alors que faire ?
Si le système bancaire et monétaire actuel produit de mauvaises incitations, il encourage artificiellement l’endettement et une gestion imprudente de l’argent, il faut le changer. Si les banques centrales sont des créatures du gouvernement et non du marché libre, si elles déclenchent des cycles d’expansion-récession, il faut les supprimer. Le marché libre n’a rien à voir avec cet échec. Le seul moyen de revenir à la prospérité, c’est de laisser le marché coordonner la production et la consommation. Concrètement, Thomas Woods explique pourquoi il faut :
• Laisser les banques faire faillite
• Abolir Fannie Mae et Freddie Mac
• Arrêter les sauvetages et réduire les dépenses du gouvernement
• Mettre un terme à la manipulation de la monnaie par le gouvernement
• Remettre en cause la Fed
• Fermer les facilités spéciales de prêts
• Mettre un terme au monopole de la monnaie
Il y a plus de trois décennies, souligne l’auteur, F.A. Hayek avait appelé à la séparation de l’Etat et de la monnaie. Il défendait la concurrence des monnaies, permettant à chacun de choisir la monnaie la moins susceptible de se déprécier. Thomas Woods consacre tout le chapitre 4 de son livre à la théorie des cycles, qui a valu à Hayek le prix Nobel d’économie en 1974. Il consacre aussi un chapitre entier à la monnaie, s’appuyant notamment sur un livre de Rothbard qui a été traduit en français sous le titre : Etat, qu’as-tu fait de notre monnaie ? (Voir aussi, sur cette question, le livre de Guido Hülsmann : L’éthique de la production de monnaie, traduit aux éditions L’Harmattan).
La théorie autrichienne prédit et explique les problèmes financiers auxquels nous faisons face de manière beaucoup plus rationnelle que la théorie keynésienne. Pour s’en convaincre, il faut lire ce livre de Thomas Woods. Ron Paul, le représentant républicain du Texas et ancien candidat à la présidentielle, écrit dans l’avant-propos : « il n’y a pas de meilleur livre à lire sur la crise actuelle que celui-ci. » C’est un livre grand public, accessible et complémentaire du livre de Pascal Salin : Revenir au capitalisme.
“Débâcle” de Thomas E. Woods Jr. Traduit de l’américain par Yali N’Diaye, Valor éditions, 2010