C'est une image de Jean-Luc Godard, en noir et blanc qui montre le réalisateur engagé dans une conversation probablement à deux, le casque sur les oreilles suggérant un entretien enregistré. Le cigare, qui avait disparu de l'histoire officielle récente, désigne le décalage du personnage par rapport aux valeurs de son époqiue. Le regard est froid, mais sans mépris. Les lunettes, quelque peu professorales (Godard ne néglige pas un rôle de professeur) ne sont que fonctionnelle.Le sourire n'a pas éclos. La tenue, sans être négligée, est toute en décontraction distante, distante avec le sujet, avec l'interlocuteur, avec le moment. L'écharpe conservée montre que le cinéaste n'a pas l'intention de s'éterniser. Ni dans cet entretien. Ni dans cette vie.
Mais il dit quelque chose.
Il dit ceci : "Faire une description de tout ce qui n'a jamais eu lieu est le travail de l'historien" (Histoire(s) du Cinéma).
Cette phrase me fait penser à l'historien américain Howard Zinn, auteur d'une célèbre Histoire populaire des États-Unis (parue aux éditions Agone) Zinn voyait « dans les plus infimes actes de protestation les racines invisibles du changement social ». Il cherchait à mettre au jour dans la genèse des USA des traces tangibles de l'action des paysans en révolte, des marches des militants des droits civiques, des grèves des syndicalistes, autant d'actes fondateurs des États-Unis, selon lui, que ceux des Pères du même nom, présidents, juges à la Cour Suprême, ou encore grands patrons. Les éditions Au diable Vauvert viennent de publier sa récente Histoire populaire des USA pour les ados, qui rend son ouvrage classique plus accessible.
Revenons à Godard et à son aphorisme. Le travail de l'historien (le travail de Godard lui-même, s'agissant du cinéma) aurait donc pour sujet "ce qui n'a jamais eu lieu", donc, dans l'éclairage de Howard Zinn, ce qui est inachevé, ce qui a été opprimé (aussi par les historiens), donc ce qui demande à se délivrer.
Le sujet de l'Histoire serait donc invisible, caché. A l'historien de le montrer, de le mettre en lumière. Comme les Frères Lumière ont mis, en leur temps, de l'objectivité (celle de l'objectif photographique) dans la représentation du monde.
Platon, de sa caverne, appréciera probablement.
Il n'y aura pas d'illustration musicale à proprement parler, nouvelle exception à la règle de ce Calendrier de l'Avent (je rappelle que je suis ici chez moi, que j'écris et publie ce que je veux, dans le cadre des Lois de la République, MOI !) mais la voix de Jean-Luc Godard. Alors non, on ne l'entendra pas prononcer ici la phrase objet de ce billet. Je vous propose un extrait d'un entretien de JLG avec Thierry Jousse (un ancien des inrocks devenu, comme Vincent Ostria, cinéaste, comme, il faut un temps, on commençait critique aux Cahiers et on devenait Rivette, Truffaut ou Chabrol, ou Godard) dans lequel le réalisateur parle de droits d'auteur. Il en a parlé depuis, mieux à mon sens, à l'occasion de la sortie de Film Socialisme (Lire ICI pour ceux que ça intéresserait). Mais le sujet est passionnant : à qui appartient une oeuvre d'art, une création humaine ? à son auteur ? à ses héritiers ? Quand on s'est opposé comme ce blog au ridicule et inefficace projet Hadopi, le point de vue d'un créateur de la dimension de Godard n'est pas indifférent. Pour lui, il n'y a pas de droits d'auteur. Pas de droits particuliers sur sa création. Ecoutez, il y a la voix, tout ce qui est dit n'est pas exceptionnellement pertinent, mais c'est Godard.