Histoire philosophique et politique des deux Indes (extrait)
…Le ministère ne pense qu’à lui ; le Sénat est en délire ; la portion sage du peuple est muette, ou parle en vain. L’avide et féroce association de commerçants, qui a causé vos malheurs, les aggrave et en jouit tranquillement. Brigands privilégiés, vous qui tenez depuis si longtemps une grande partie du globe sous les chaînes de la prohibition et qui l’avez condamnée à une éternelle pauvreté, cette tyrannie ne vous suffisait-elle pas ? Fallait-il l’aggraver par des forfaits qui rendissent exécrables le nom de votre patrie ?
Qu’ai-je dit, votre patrie ! Est-ce que vous en avez une ? Mais, si la voix de l’intérêt particulier est la seule à laquelle votre oreille puisse s’ouvrir, écoutez-la donc. C’est elle qui vous crie par ma bouche : vous vous perdez, vous vous perdez, vous dis-je. Votre tyrannie touche à sa fin. Après l’usage monstrueux que vous avez fait de votre autorité, renouvelée ou non, elle finira.
(…)
Mais les citoyens honnêtes, s’il en reste quelques-uns, s’élèveront enfin. On verra que l’esprit du monopole est petit et cruel. On verra qu’il est insensible au bien public. On verra qu’il n’est contenu ni par le blâme présent ni par le blâme à venir. On verra qu’il n’aperçoit rien au-delà du moment. On verra que dans son délire il a prononcé cet arrêt, et qu’il l’a prononcé dans tous les temps et chez toutes les nations.
« Périsse mon pays, périsse la contrée où je commande. Périsse le citoyen et l’étranger. Périsse mon associé pourvu que je m’enrichisse de sa dépouille. Tous les lieux de l’univers me sont égaux. Lorsque j’aurai dévasté, sucé, exténué une région, il en restera toujours une autre où je pourrai porter mon or et en jouir en paix. »
Chapitre (Livre III, Chapitre XII) écrit en grande partie par Diderot
Ce livre de l’Abbé G. Th. Raynal, pour lequel il s’était entouré « d’hommes instruits de toutes nations », a été publié trente fois entre 1772 et 1789. 1789 ? Certains textes ont encore une terrible actualité.