Il n'a pas fallu attendre bien longtemps pour constater que cette promesse était une tartuferie. L'entrave aux enquêtes se poursuit.
1. A fur et à mesure des investigations menées par les juges, l'affaire s'est étoffée : le juge Trévidic enquête sur l'attentat de Karachi lui-même. Début octobre, le juge Renaud Van Ruymbeke avait décidé d'enquêter sur des «faits de corruption active et passive» dans le cadre du financement de la campagne d'Edouard Balladur en 1995. Et le 26 novembre dernier, le même juge a rendu une ordonnance dans laquelle il demandait au parquet d'étendre son enquête à un contrat de vente de frégates à l'Arabie saoudite conclu en 1994, et dénommé Sawari II. Pour cette dernière vente, les deux mêmes intermédiaires, baptisé Réseau K, avaient bénéficié de commissions assez conséquentes (200 millions d'euros), selon les informations publiées la semaine dernière par le Point. Lors de l'une de ses auditions devant le juge Van Ruymbeke, Dominique de Villepin avait affirmé que ces intermédiaires apparaissaient, d'après les enquêtes réalisées sous Jacques Chirac après 1995, « sans véritable lien avec ces marchés (…) et ayant des liens avec des personnalités publiques françaises ».
2. Depuis 2009, les obstacles aux instructions des juges ont été nombreux : le ministre de la Défense Hervé Morin n'a d'abord pas donné accès à tous les documents demandés par le juge Marc Trévidic. A l'automne 2009, le magistrat avait reçu un rapport de 137 pages dont seuls 6 paragraphes ont été laissés visibles. Le président UMP de la commission de la défense à l'Assemblée nationale, Guy Tessier, puis le président UMP de l'Assemblée Nationale Bernard Accoyer ont ensuite refusé, l'été dernier, de transmettre au même juge le contenu détaillé des auditions réalisées par la mission d'information parlementaire auprès d'anciens ministres, d'hommes d'affaires, d'agents secrets ou de militaires. Début octobre, le procureur Jean-Claude Marin a décidé de faire appel contre la décision du juge Van Ruymbeke d'enquêter sur le volet financier de l'affaire. L'existence d'une enquête parallèle des services secrets français, datant de 2002, n'a été dévoilée au juge Trévidic que tout récemment lors de l'audition du général Rondot. Jeudi 18 novembre, François Fillon a refusé au juge Van Ruymbeke une perquisition des locaux de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Lundi 26 novembre dernier, le juge Trévidic a écrit à Alain Juppé, ministre de la Défense, pour se plaindre que sa précédente demande de transmission de tous les documents de la Défense relatifs à l'affaire, datée du 5 mai dernier et adressée à Hervé Morin, soit restée lettre morte durant plus de 6 mois.
3. Mardi 14 décembre, le parquet a décidé de saucissonner davantage le traitement de l'affaire : une nouvelle information judiciaire a été ouverte, mardi 14 décembre, pour « abus de biens sociaux et recel » dans le cadre du contrat Sawari II. Le même jour, le porte-parole du gouvernement, François Baroin, avait déjà laissé entendre à l'Assemblée nationale, qu'un nouveau juge mènerait l'enquête sur ce contrat. Effectivement, dans un réquisitoire signé le 6 décembre révélé par Mediapart, le procureur Marin a justifié «que ces faits nouveaux sont de nature différente de ceux instruits dans la présente information, que leur période de commission est différente, que les personnes visées et les victimes sont également différentes» et qu'il conviendrait, selon lui, «dans le cadre d'une bonne administration de la justice, de requérir l'ouverture d'une information judiciaire distincte». Dans son communiqué, le parquet précise de même que cette nouvelle enquête fait suite « à des faits allégués de versements de commissions dans un contrat distinct de celui objet des investigations menées autour de la vente de sous-marins au Pakistan en 1994. » Et de préciser que « le magistrat instructeur n'a à ce jour pas été désigné.»
5. Mercredi, la majorité UMP/Nouveau Centre du bureau de l'Assemblée nationale a refusé de transmettre au juge Marc Trévidic les documents de la mission d'information parlementaire sur l'attentat de Karachi. Le juge soupçonne que l'attentat soit une vengeance après l'arrêt du versement de commissions à des intermédiaires. Ces dernières semaines, certaines des auditions tenues secrètes ont toutefois été publiées, avec des témoignages explosifs : le contrôleur général des armées, Jean-Louis Porchier avait affairmé devant la mission avoir appris l'existence de rétro-commissions sur le contrat Agosta. François Léotard, ancien ministre de la Défense, avait lui affirmé qu'il croyait au lien entre l'attentat de 2002 et l'arrêt du versement de certaines commissions.
Mercredi, Nicolas Sarkozy recevait à déjeuner le prince héritier d'Abou Dhabi et le ministre des Affaires étrangères des Emirats arabes unis. Aussitôt, une source élyséenne précisait que les trois hommes ont parlé du Rafale.
Encore un contrat d'armement en perspective ?