« J’ai longtemps cru que la honte était provoquée par un acte inacceptable dont on aurait pu faire un barème, allant de la petite honte à la mort de honte. Je découvre que ce sentiment naît dans la signification que notre contexte culturel et notre histoire intime attribuent à ce fait. Je remarque que la honte n’est pas une émotion pure comme la colère ou la joie, c’est un sentiment mêlé où l’on « s’écrase » parce qu’on se représente soi-même comme un ver de terre méprisable. Et pourtant, dans le même mouvement, on pense qu’il est moral de se laisser écraser pour ne pas écraser les autres et que l’on peut même être fier de cette douloureuse moralité.Je connais des substances qui provoquent des rages sans objet. Je connais des liqueurs qui apportent l’euphorie des bonheurs sans raisons. Mais je ne connais pas de produit qui induisent la honte parce que ce sentiment naît toujours dans une représentation, dans le secret de mon théâtre intime où je mets en scène ce que je ne peux dire, tant je crains ce que vous allez en dire. »
Dans son nouveau livre,"Mourir de dire : La honte" le neuropsychiatre Boris Cyrulnik explore le théâtre intime de la honte : honte d’être trop gâté par la vie ou honte d’être trop pauvre, honte de ce qu’on a fait ou de ce qu’on n’a pas le courage de faire. Sans oublier la honte des survivants de crimes de masse, ou la honte des personnes victimes d’abus sexuels. Avec toujours cette interrogation : comment ne pas s’enfermer en elle comme dans un terrier ? Comment la dépasser ?