5 Centimètres par Seconde (Byōsoku Go Senchimētoru)
Une série d'Histoires courtes sur la Distance
de Makoto Shinkai, 2007
C'est un film en trois parties. Courtes. Trois chapitres si on s'en tient à la chronologie, avec un même personnage principal : Takaki, un garçon ordinaire, gentil, plutôt cérébral et renfermé. Mais l'auteur nous le rappelle dès le sous-titre : 5 Centimètres par Seconde, c'est une série d'histoires courtes sur la distance, que l'on pourrait apprécier indépendemment, et c'est finalement l'impression que j'ai retenue : 5 Centimètres par Seconde est un recueil de nouvelles, littéraires et poétiques par leur forme, et par leur propos.
L'histoire : il n'y a presque rien à en dire. Il y a beaucoup à y ressentir. D'ailleurs, point de résumé aujourd'hui, je vais laisser place à l'image (toutes tirées des premières vingt minutes, afin de ne rien dévoiler). Quelques mots pour accompagner.
Chapitre 1. Essence de fleurs de cerisier. L'âge de l'enfance et de l'innocence. Le monde est magique, beau, encore irréel. Il est tout entier résumé dans cette première image : une rue, la rue du quartier de notre enfance, banale, mais tout entière baignée dans la lumière rose des cerisiers en fleurs. Etait-ce ainsi en réalité? Aussi beau? En tous cas, ça l'est, dans la mémoire de Takaki.
La ville, on ne la voit pas. Ou de loin. Elle n'est que paysages. Pourtant, on est à Tokyo, dans la mégalopole, écrasée de buildings en son centre, étalée en interminables quartiers de béton, de bois et métal dans ses faubourgs. Mais Takaki, pas encore 13 ans, ce qu'il voit, c'est le ciel, immense. C'est ce dont Takaki, 25 ans, se souvient.
Il se souvient de son amour d'enfance. Oh, le mot, "amour", n'a jamais été prononcé. Il est juste ressenti. Akari, Takaki... ils sont dans la même classe. Un peu à part des autres. Ils partagent le même amour des choses écrites. C'est pour cela qu'ils ne se disent par les choses? Sont-ils beaux, uniques, charismatiques? On ne voit guère leurs traits. Leurs visages ne se distinguent pas de la masse des autres enfants. C'est curieux, les souvenirs : on se souvient si bien des objets, des décors, des lumières. On les a probablement enjolivés : les couleurs sont plus douces, le cadre prend une tournure cinématographique. On met en scène ses propres souvenirs. Mais ça aide à se les remémorer, comme ça, on les voit avec plus de précision.
L'histoire est banale, et pourrait durer longtemps ainsi. Mais les souvenirs aussi ont une fin. Le temps, la distance. Les circonstances. Il y eut cette journée. Et surtout cette nuit. Cette nuit d'hiver. Ils n'étaient plus dans la même classe. Ni dans la même école, ni dans la même ville. Les parents, le travail, un déménagement... Akari est partie, dans un bled paumé, un truc comme Higochi, ou Hirochi, à plus de cent bornes au nord de Tokyo, il faut des heures de train pour y aller, et combien de changements, alors forcément, Takaki n'y est toujours pas allé...Là-bas aussi, il y a un cerisier, un seul, dans cette morne plaine, sous un ciel immense. Toujours immenses, les ciels de l'enfance.
Takaki se souvient. De ce jour où lui aussi apprend qu'il doit partir de Tokyo. Mais pas juste à cent bornes, non, ce serait trop facile, carrément à l'autre bout du Japon, et sur une île, en plus. L'île de Tanegashima, district de Kagoshima. Plus de 100 km au sud et au large de Kyushu. Les parents, le travail, un déménagement... Il paraît que s'y trouve la base de la NASDA, d'où décollent à toute vitesse les fusées à l'assaut de l'espace. Mais on s'en fout, non? Toutes ces distances, qui leur sont imposées, alors que la seule vitesse qui les fascinait, c'était celle de la chute des pétales de cerisier...
Takaki se souvient d'avoir sauté dans le train, sous une neige de plus en plus contrariante, pour rejoindre Akari et la revoir enfin, dans son bled paumé, avant la grande séparation... Et il lui dira... Il lui dira quoi?
Putain de train qui n'avance pas ! "En raison des perturbations atmosphériques, ce train restera dix minutes en gare, veuillez nous exc..." etc, etc...
Il le lui a dit. Et le matin est venu. Le plus beau et le plus triste matin de sa vie. Et il a fallu se quitter. Retourner à Tokyo.
"La chaleur d'Akari, son âme... que devais-je en faire? où pouvais-je les emmener?"
5 Centimètres par Seconde, une série d'histoire sur la distance, distance entre les gens, distance entre les souvenirs, histoires racontées au passé. Takaki parle en voix off, ce sont ses souvenirs. Parfois, plus tard, d'autres voix raconteront l'histoire de leur propre point de vue. Ce sont des récits sur les occasions manquées, et le temps qui passe, alors que les gestes, les chemins, se répètent, puis s'éloignent. Ce qu'on croyait chargé de sens, change de sens. Ce qu'on croyait pouvoir maîtriser, on ne le maîtrise pas. Ce dont on croyait être l'acteur principal, c'est une scène si vaste, où l'on n'est qu'un figurant. Ce dont on rêvait, restera-t-il à jamais un rêve?
Du monde magique, lumineux et innocent de l'enfance, on passe ensuite à celui, troublant, vibrant et sensuel, de l'adolescence. Ce qui se passe sur l'île perdue au milieu de l'océan, je ne le raconterai pas, car il contient certaines des plus belles images du film.
Je n'en dirai pas plus non plus sur la troisième partie du film, où l'on arrive au monde de la vie adulte, solitaire, urbaine. Grisaille. Finis, les ciels immenses. On regarde ses chaussures. Son écran d'ordinateur. Son portable. Temps du travail, de la jeunesse perdue, de l'amertume. Et de nouveaux espoirs? La fin, ouverte, permet plusieurs interprétations, selon son propre degré d'optimisme ou de pessimisme. Il ne faut pas rater cette fin : la succession accélérée d'images montées en flash-back avec les images du présent est somptueuse.
Oui, attention, ce flim, est un flim mémadrolatique. Mélodramatique, pardon. Mais avec pudeur et justesse, (presque) sans gros plans, (presque) sans larmes, sans mots définitifs. Les personnages sont très souvent montrés de dos, ou de loin. Le personnage principal, c'est le paysage, qui résume les états d'âme, les sentiments, les émotions. Ainsi, il est permis à chacun de s'identifier. Après, ça marche, ou pas. Avec moi, oui. Peut-être parce qu'à mon âge, on a parfois ce regard nostalgique, lumineux, enjolivé, de certains moments spéciaux de sa jeunesse. Allez, j'en ai largement assez dit.
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