Wikileaks ou la dictature de la transparence

Publié le 15 décembre 2010 par Cahier

Fondé il y a quatre ans, le site Wikileaks est devenu en quelques semaines le centre de gravité de l’actualité mondiale. Comme le représente le logo de ce site basé en Islande, le monde entier est désormais visible des deux côtés du miroir, la sphère de l’information secrète venant aujourd’hui compléter la sphère de l’information publique. En prônant la protection de la liberté d’expression et la diffusion par les médias, le site Wikileaks affirme s’inspirer des principes de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme (art.19).

Lors des premiers jours qui ont suivi la mise en ligne d’une base impressionnante de documents secrets américains, tous les médias français, à l’exception du journal Le Monde, ont pris position contre la divulgation de ces informations. Quelques semaines plus tard, la sacro-sainte liberté d’information a repris le dessus, rappelant la force du concept de « dictature de la transparence » : Internet a banni les frontières, a supprimé les hiérarchies existantes et rendu visible ce qui auparavant était « off ». Désormais c’est également le cas en matière de relations internationales. 

Le 10 décembre dernier l’Ifop a publié dans Dimanche Ouest France les résultats d’une enquête intitulée « Les Français et l’affaire Wikileaks ». Selon ce sondage, une courte majorité de Français (54%) estime que « Wikileaks doit continuer de publier ces informations confidentielles car la transparence est une vertu démocratique et les citoyens ont le droit de savoir ». A l’inverse, 45% d’entre eux pensent que « Wikileaks doit cesser de publier  ces informations confidentielles car le secret est nécessaire au bon fonctionnement de la diplomatie et de la sécurité ». Dans le détail, on note des corrélations fortes notamment liées à l’âge des répondants et à leur sympathie partisane : les plus jeunes défendant la transparence (67% pour les moins de 35 ans) tout comme les sympathisants de gauche (65%). A l’inverse, les tenants d’une certaine tradition en matière de relations internationales se trouvent parmi les sympathisants de droite (62% indiquent que Wikileaks devrait cesser ces pratiques) et les personnes âgées de 65 ans et plus : 62% préconisent que Wikileaks ne cesse de diffuser ces informations confidentielles. 

Ces résultats indiquent que le débat existe et que la question ne semble pas être véritablement tranchée malgré la courte majorité qui affirme soutenir la démarche de J. Assange et de Wikileaks. Cependant, il  semble que le concept – bien réel – l’emporte aujourd’hui encore sur une réalité plus tellement hypothétique où la transparence deviendrait la valeur de référence y compris au niveau des relations internationales. Autant dire que le monde a bien changé depuis trente ans et un contexte géopolitique marqué par la guerre froide où la diffusion de ce type d’information confidentielle aurait signé au mieux l’arrêt de mort d’une quantité d’agents infiltrés et autres espions et au pire entraîné un affrontement militaire dont personne ne souhaite imaginer la fin…

Mener des relations diplomatiques avec l’opinion publique comme témoin privilégié remet en cause  un des fondements des relations internationales pour lesquelles l’usage du secret diplomatique et de la discrétion est une nécessité. Elément crucial de la stratégie de négociation des Etats, le secret diplomatique a permis d’éviter des guerres et de sauver des vies (réunion secrète à Oslo en 1993 entre Israël et les représentants de l’Autorité Palestinienne par exemple). En imposant cette « dictature de la transparence », Wikileaks a repoussé les bornes du secret, précipitant ainsi une fuite avant dont on ne peut imaginer les effets qu’ils pourraient avoir sur la diplomatie du XXIe siècle.  

Alors que la transparence des gouvernants envers les gouvernés a permis de renforcer la démocratie, la « dictature de la transparence » version Wikileaks pourrait bel et bien la mettre en danger.