Oui, Robert, « de compagnie » mais quand ça lui chante, et apprécié pour cette raison par les maîtres qui n’aiment pas qu’on les colle. Beaucoup le préfèrent au chien, cet inlassable mendiant de tendresse qu’on finit par envoyer coucher. Le chat irrite pour la raison inverse : c’est lui le maître des caresses, des départs et des retrouvailles. Au bal de la séduction, il mène la danse, jouant de ses mépris comme de ses dons. Les grandes amoureuses savent cet art, et leurs amants les en prie tacitement : « Dédaigne-moi un peu, que je t’aime encore. » Le chat, même mâle, est féminin.
Noé, qui pendant quarante jours eut le temps d’observer son monde, regardant le tigre se disait : « En voilà un qui a du ressort, de l’échine, de la patte, de l’œil. Trop grand, hélas pour faire son chemin dans la société urbaine qui se profile. » Ce qu’il synthétisa en cette formule dictée à son fidèle Hrodbehrt :« Tigre. Serait parfait en plus petit. »
La tradition montre le Chat aussi rusé que le Renard, chafouin, chattemite, faux jeton. Moi, je le vois plutôt distant, distrait, irréductible. On ne l’entend pas venir, on ne le voit pas partir ; il était là, il ne l’est plus, sans se presser pourtant, ondoyant, élastique, ecclésiastique, bref conforme à son nom générique : félin.
Récemment le chat du pasteur, qui devrait pourtant donner l’exemple, m’a mangé cinq poissons d’un bassin que je croyais grillagé comme une jalousie. Il sait que je le sais et n’en a cure ; sur le trottoir il écoute en clignant mes remontrances, se demande si je vais rempoissonner et boucher le trou pour sa patte. Je promets de lui tirer du gros sel un de ces jours, mais je sais que je n’en ferai rien, et je passe mon chemin, plus imbu de fatalisme qu’un prêtre de l’ancienne Egypte après son offrande à Bastet.
Il en est des yeux de chats comme des yeux d’enfants fiévreux ou de femmes fatales : on se prend à douter en y plongeant qu’ils soient seulement de la matière donnant sur de la matière. Il passe par ces lucarnes d’ambre ou d’aigue marine une lueur pailletée d’outre monde, un frisson suggérant sans effroi que « la vraie vie est ailleurs ».
En qualifiant le chat d’ « orgueil de la maison », le dandy Baudelaire se laisse prendre à des mines hautaines. L’orgueil domestique, c’est le chien ; il le fait savoir dès la grille, accueille en vigile tout visiteur, le raccompagne en majordome : la maison, c’est lui, même le facteur n’en doute pas. Le chat est de toitures et d’arbres, de jardins et de rues ; il se joue des murs, pourrait être le chat du voisin et vice versa. Il n’est pas l’ « orgueil de la maison », il en est le génie blasé.
Il y a du chien en tout homme carré chez soi ; du chat en tout être évasif, disposé à juger la vie noble partout où l’on trouve du silence, de la désinvolture et des coussins moelleux pour philosopher.
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Proverbe du jour : À vieux chat, rat mou.