Une douzaine de ministres éconduits du remaniement ont tranquillement retrouvé leurs sièges au parlement. Il était temps. Mercredi, il faut voter le budget de l'Etat pour 2011. Depuis septembre, députés et sénateurs de droite nous ont fait croire à un « débat ». Rassurez-vous. Retraites-chapeaux, parachutes dorés et fiscalité des plus fortunés sont épargnés dans cette République des Riches. Sarkozy, lui, trouvait quelques milliards pour Ariane 5.5. Il paraît que c'est « stratégique ». Le Smic, lui, n'augmentera que symboliquement. Il paraît que c'est « raisonnable ».
Le faux débat budgétaire
Depuis la réforme constitutionnelle de Sarkozy en juillet 2008, un ministre anciennement parlementaire recouvre sans élection son siège quand il quitte le gouvernement. C'est mieux qu'une assurance chômage ! Une douzaine de ministres et secrétaires d'Etat déchus ont ainsi retrouvé leurs sièges de députés ou de sénateurs ce mardi 14 octobre. Jean-Marie Bockel, Valérie Létard et Hubert Falco rejoignent le Sénat. Jean-Louis Borloo, Eric Woerth, Dominique Bussereau, Marc-Philippe Daubresse, Hervé Novelli, Alain Marleix, Hervé Morin, Christian Estrosi et Patrick Devedjian ont déjà leurs bureaux à l'Assemblée. Tout heureux de recouvrer un semblant d'existence politico-médiatique nationale, Eric Woerth, l'ancien ministre du Travail et héros du « Woerthgate » de l'été dernier, a profité de sa rentrée parlementaire pour expliquer au Parisien qu'il n'était « pas mort ».
Ces anciens ministres n'auront pas besoin de travailler longtemps sur la loi de finances pour 2011. L'essentiel a été fait. Ils arrivent à temps pour voter le budget 2011. En commission mixte paritaire, députés et sénateurs se sont mis d'accord sur le texte final mardi 14 décembre. Depuis la première version présentée en septembre dernier par le gouvernement, les parlementaires ont effectué une multitude de modifications. Souvent, le gouvernement a dû batailler ferme pour faire taire les récalcitrants. Ce cirque à droite avait quelque chose de faussement dépaysant. Tantôt plus maximalistes, tantôt carrément complaisants, les députés puis les sénateurs n'ont ajusté qu'à la marge le projet gouvernemental. Depuis juin, on tentait de nous faire croire que la fiscalité serait durcie contre les plus fortunés et le patrimoine. Sous ce prétexte, cette fameuse fiscalité fut largement épargnée des plus gros efforts : le gouvernement se targue d'une contribution supplémentaire de 1 % appliquée sur la tranche d'imposition la plus élevée (40 %) des revenus de 2010, d'une majoration tout aussi symbolique des prélèvements sur les revenus du capital, de l'imposition partielle des contrats d'assurance-vie multi-supports au profit de la Caisse d'amortissement de la dette sociale, et du toilettage réduit de certaines niches fiscales (comme la réduction de moitié du crédit d'impôt sur le revenu en faveur du photovoltaïque).Mais pour l'essentiel, nous devons attendre le « grand soir » fiscal promis par Sarkozy en juin prochain.
Les faux ajustements des élus UMP
Pendant ces 3 mois d'examens, on a pu faire croire au débat. Philippe Marini, rapporteur du budget au sénat s'est félicité d'avoir réduit le déficit budgétaire de ... 500 millions d'euros. Et à quel prix ? Au final, ces ajustements parlementaires n'ont pas rendu plus juste le projet de budget pour 2011, bien au contraire.Voici les mesures adoptées mardi en commission mixte parlementaire :
Aide médicale d'Etat devient payante
Les étrangers sans papier ni ressources devront payer un ticket modérateur de 30 euros pour bénéficier de l'AME. Cette aide coûtera quelques 588 millions d'euros l'an prochain. Les sénateurs, de gauche comme du centre et certains à l'UMP l'avaient rejeté. L'AME, qui est réservée aux personnes gagnant moins de 634 euros par mois, représente un coût moyen annuel de 1.808 euros par bénéficiaire (contre 1.768 euros par assuré au régime général).
Les plus-values en capital sont épargnées
A l'inverse, les bénéficiaires de plus-values de valeurs mobilières et immobilières ont obtenu un nouveau répit : les sénateurs ont reporté d'un an l'entrée en vigueur des prélèvements sociaux au premier euro sur les plus-values immobilières et la suppression de l'abattement pour les plus-values mobilières (pas de CSG) votée par les députés.
Moins d'ISF pour les PME
La réduction d'ISF à 75%% des sommes versées en investissement effectué dans une PME a été ramenée à 50%. Les sénateurs centristes et UMP avaient tenté de remonter ce taux à 67,5%. Le plafond de la réduction fiscale est aussi abaissé de 50.000 à 45.000 euros pour un investissement en direct et de 20.000 à 18.000 euros pour un investissement via des fonds.
La défiscalisation des investissements PME est sauvée
Les députés souhaitaient supprimer la réduction d'IR à hauteur de 25% de l'investissement dans une PME, mais les sénateurs sont revenus sur cette décision.
L'amendement Tapie est voté
Députés et sénateurs se sont mis d'accord sur l'amendement dit «Tapie», déjà évoqué sur ce blog, qui taxe les indemnités pour préjudice moral au-delà de 1 million d'euros.
Les retraites-chapeaux et parachutes toujours sans plafond
Les rentes des retraites-chapeau subiront une modeste contribution sociale de 7% si elles sont comprises entre 500 et 1000 euros par mois, et de 14% pour les rentes mensuelles au-delà. Le montant de ces retraites-chapeau comme des parachutes dorés reste déplafonné. Le Medef sera satisfait.
Les emplois à domicile coûteront plus cher
Après de nombreux « échanges » entre parlementaires de droite, sous le regard presque amusés de ceux de gauche, la commission mixte a maintenu la suppression de la de l'abattement de 15% de cotisations sociales sur les emplois à domicile. Cette disparition économisera environ 460 millions d'euros, aux détriments des classes moyennes supérieures.
La pub sur Internet sera taxée
A compter du 1er janvier prochain, un nouveau prélèvement sera payé par les annonceurs à hauteur de 1% de leurs achats de publicité sur Internet.
Le livre numérique aura une TVA à 5,5% ... ou pas
Grand amoureux des arts et des lettres, Nicolas sarkozy avait plaidé pour un alignement des taux de TVA sur les produits culturels. Une première étape serait franchie avec sa réduction de 19,6% à 5,5% pour les livres numériques, mais au 1er janvier 2012, et sous réserve d'une approbation par la Commission européenne.
L'enseignement privé sera soutenu
L'Education nationale consacrera, dans son budget, 4 millions d'euros en faveur de l'enseignement ... privé. Motif ? Financer 250 postes initialement supprimés dans la première version du budget.
Le crédit impôt-recherche est maintenu en l'état
La réduction d'impôt sur les sociétés à hauteur de 5%, au-delà de 100 millions d'euros de dépenses de recherche a finalement été maintenue, malgré l'opposition initiale des sénateurs.
Les Offices HLM financeront l'ANRU
Les sociétés HLM seront ponctionnées de 245 millions d'euros l'an prochain pour financer l'Agence de Rénovation Urbaine, contre 340 millions votés par les députés.
Et le déficit subsiste
Globalement, les ressources fiscales l'an prochain sont estimées à 197,8 milliards d'euros pour un montant de dépenses budgétaires, comptes spéciaux inclus, de 289,9 milliards d'euros. Le déficit serait donc de 92 milliards d'euros. L'essentiel de sa réduction provient toujours de la non-reconduction de dépenses exceptionnelles liées aux Grand Emprunt et à la relance. Le sénateur Marini, encore lui, s'est quand même inquiété des menaces pensant sur la capacité d'endettement de la France : « le risque que la France se retrouve classée par les marchés parmi les mauvais élèves de la zone euro ne peut être écarté » a-t-il averti dans son rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2010.
Les premiers impacts de cette loi de finances se font déjà sentir : les fournisseurs d'accès à internet ont confirmé la hausse de leurs tarifs d'abonnement ADSL d'environ 2 euros par mois. Quelques 20 millions de foyers sont concernés. Les compagnies d'assurance, qui perdront notamment l'exonération de taxe sur les conventions d'assurance pour les contrats d'assurance maladie dits « solidaires et responsables » l'an prochain, ont également annoncé des hausses moyennes de cotisation de 3,5% à 7% en 2011. Le motif avancé pour ces inflations seraient l'augmentation de la sinistralité l'an dernier. Christine Lagarde s'est empressée d'affirmer qu'elle avait demandé à la Direction de la concurrence et à la Direction du trésor « de travailler ensemble pour examiner la réalité du lien entre cette sinistralité et l'augmentation des primes qui a été ainsi annoncée. » Les compagnies tremblent déjà...
Nicolas Sarkozy, mardi, a quand même annoncé trouvé quelques milliards pour la recherche spatiale. Les contribuables apprécieront. Lors d'un déplacement dans l'Eure, pour une fois à peine commenté par les médias tant le sujet n'intéresse pas grand monde, le Monarque a expliqué que « l'ambition française dans le domaine spatial reste une priorité absolument stratégique. » Il a parlé convergence des recherches militaires et civiles, satellites de renseignement, et place de la France dans le monde; ça y est ! Notre monarque était haut perché. Mardi, il a aussi signé une convention d'étude pour 82 millions d'euros, sur les 500 millions prévus dans le Grand emprunt pour le lancement d'Ariane 6 à horizon 2025. Avant elle, Ariane 5 ME (« midlife evolution ») engloutira 1,5 milliards d'euros dont 300 millions déjà dépensés en études par la France.
Lundi, François Baroin jouait au rigoureux devant les dirigeants des 497 opérateurs de l'Etat (hors universités). Il les recevait dans un grand amphi à Bercy, et leur fit un cours version Sarkofrance : 2 630 suppressions de postes, réduction de 10% des dépenses de fonctionnement sur trois ans, et quelques mesures très symboliques comme un plafond fixé au mètres carrés par collaborateur (à 12 m2 précisément) et la suppression de 2.750 véhicules de fonction. Il fallait lire, dans le Figaro, les éléments de langage gouvernementaux : « Cette rigueur n'est pas un luxe car ces 497 structures (hors université) emploient 235.000 personnes, dépensent 29 milliards par an et ont un patrimoine immobilier de 42 milliards. Pourtant, pendant des années, leur gestion a été laxiste. Ainsi en 2007, les opérateurs ont créé 13.989 emplois, tandis que les ministères en supprimaient 11.244! Mais tout cela a changé progressivement à partir de 2008, grâce à l'action du ministère du Budget.»
En quelques mois, Nicolas Sarkozy vient donc de se doter de son dernier budget de président : un budget injuste et insuffisant.
L'an prochain, le débat parlementaire sur le budget 2012 sera encombré de considérations électoralistes évidentes. Gageons que Nicolas Sarkozy sera capable d'imagination.