Les lecteurs assidus du présent site se souviendront que l'écrivain et chroniqueur belge Thomas Gunzig avait fait un séjour à Fada N'Gourma à la fin du mois de mai dernier, dans le cadre des activités de sensibilisation au développement d'Iles de Paix.
Cette expérience se traduit aujourd'hui par une nouvelle de 32 pages, intitulée "La circoncision des crocodiles", distribuée gratuitement dans une série de librairies belges à l'occasion des fêtes de fin d'année.
Extrait (section IX, relatant l'arrivée au Burkina Faso et ses effets immédiats...) :
Ca avait fait l'effet d'un sèche-cheveux réglé au maximum et dirigé en pleine figure. A peine passé la petite porte de l'avion, une incroyable odeur de fuel, de feu de bois, de sel et d'épices m'était tombée dessus comme si on m'avait déversé sur les épaules une baignoire remplie à ras bord d'un brûlant bouillon africain.
Un minibus Ford du début des années quatre-vingt (sur la face antérieure d'un fauteuil craquelé, les restes reconnaissables d'un autocollant "Franky Goes To Hollywood" venaient témoigner de son âge aussi bien qu'aurait pu le faire une datation au carbone 14) nous avait conduits à une vingtaine de mètres de l'avion. Des plaques de bois clair, clouées à la va-vite, marquaient l'entrée de l'aéroport.
Depuis trente-neuf ans, le monde dans lequel je vivais était un monde tout en tension. Un monde capable de dépenser une quantité appréciable d'énergie pour maintenir l'apparence de l'organisation. Un monde réglé, régulé, où les soubresauts erratiques qui accompagnent les phénomènes vivants semblaient devoir être mis en boîte par des principes simples et puissants, comme si par la simple force de sa volonté, l'homme pouvait s'opposer à l'entropie.
Au sommet de ces principes se trouvait sans doute celui voulant que les aéroports soient des vitrines glabres et clinquantes, des lieux d'arrogance technologique. Les pays les plus modestes avaient toujours semblé vouloir faire de leurs aéroports des univers miniatures, reproduisant d'étranges fantasmes de perfection.
L'aéroport de Ouagadougou est un lieu simplement fonctionnel : une piste pour les avions, un couloir pour les passagers, deux guérites en contre-plaqué pour le contrôle des passeports.
Rien d'autre.
Trente-neuf ans que j'étais parcouru des lignes de tension occidentales, découpant le monde en petits secteurs d'activités, comme le feraient des fourmis sur une carcasse de vache.
Durant les quinze minutes bordéliques où je fis la queue jusqu'à ce qu'un grand policier noir appose un cachet sur mon passeport, je sentis que toutes les courroies qui me retenaient à quai depuis tellement d'années lâchaient les unes après les autres.
C'était une impression agréable. Peut-être proche de ce que peuvent ressentir les cosmonautes découvrant l'apesanteur.
La nouvelle est disponible en intégralité ici (1,8 Mo).