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Mouvements d'opinion: enjeux stratégiques, besoins et technologies

Publié le 14 décembre 2010 par Egea

Voic un remarquable compte-rendu du colloque, organisé par l’IRSEM le 30 novembre 2010 à l’Ecole militaire, et qui traitait de "Mouvements d'opinion: enjeux stratégiques, besoins et technologies". (écrit de J. Vimeux).

On y voit en effet la liaison, rarement faite, entre les "infos ops", l'opinion publique mais ausi les moyens technques asociés. Cela contribue tout à fait à la notion de maîtrise stratégique de l'information, titre d'une catégorie de billets d'égéa.

O. Kempf

« Mouvements d'opinion: enjeux stratégiques, besoins et technologies »

La notion d’opinion publique est vaste. Même si elle est de plus en plus utilisée, elle reste difficile à saisir. Elle peut être définie comme l’ensemble des convictions et des valeurs partagées, des jugements, des préjugés et des croyances de la population d’une société donnée (qu’elle soit nationale, locale ou internationale). Platon qualifiait la Doxa de versatile, sensible et superficielle. Il en avait une vision négative. Pour le célèbre sociologue Pierre Bourdieu analysant l’opinion publique à travers les sondages, il ne faut pas la comprendre comme la somme des opinions individuelles. C’est à partir de la Révolution française que le concept va s’affirmer pour prendre une ampleur considérable avec l’avènement de la République et du suffrage universel. Dans nos sociétés modernes, elle est devenue un acteur incontournable notamment sur les questions politiques, économiques, sociales, sécuritaires ou environnementales.

Rapporter au droit de la guerre, l’opinion publique représente la dimension morale. En effet, Sun Tzu appréhende l’art de la guerre sous différents axes. Il faut prendre en compte le facteur temps, le terrain, la doctrine militaire mais aussi l’influence morale c’est-à-dire ce qui fait que le peuple va suivre le leader. On voit donc apparaître une notion d’opinion publique liée à la guerre et à la stratégie. Cependant, cette opinion publique est aussi fondamentale dans les entreprises puisqu’elle peut jouer un rôle non négligeable dans la gestion des crises.

Face au développement du web 2.0 et des réseaux sociaux, l’expression de l’opinion publique est simplifiée. Alexis Bautzmann rappelle qu’elle est plus que jamais d’actualité avec les nouvelles révélations de WikiLeaks. L’objectif de ce colloque, organisé par l’IRSEM le 30 novembre 2010 à l’Ecole militaire en partenariat avec CGARM et Thalès, avait donc pour objectif de débattre autour de la mouvance d’opinion sous un angle technique et opérationnel. L’importance était donc d’établir un dialogue entre les fournisseurs des technologies et leurs utilisateurs finaux (c’est-à-dire, les services de renseignement, les forces armées, les services de communication, les forces de sécurité, les administrations territoriales…). Il était aussi nécessaire de présenter les besoins respectifs des civils et des militaires face à la mouvance d’opinion ainsi que les solutions techniques disponibles ou en cours d’élaboration pour y répondre.

D’un point de vue stratégique, on assiste peu à peu au retour de la guerre idéologique. Comprendre l’opinion publique c’est la replacer dans le contexte historique du soft power. Le concept n’est pas nouveau puisqu’il apparaît avec l’art de la guerre. Il sera ensuite développé en relations internationales avec le professeur américain Joseph Nye à partir de 1990. La « puissance douce » est un concept pour décrire la capacité d’un acteur politique, d’influencer indirectement les comportements d’un autre acteur, à travers des moyens non coercitifs. Pour François-Bernard Huyghe, se doter de techniques de persuasion afin d’agir sur autrui se heurte à la théorie des 4 « i » : Intérêts nationaux à défendre, image que véhicule un pays et ses dirigeants, idéologie et influence. Cette influence doit être traitée par des stratégies de communication représentées par la théorie des 4 « m » définie par les messages, les médias, les milieux culturels et les médiations.

Eric Germain de la DAS (Délégation aux affaires stratégiques) appréhende l’opinion publique par la géopolitique des émotions et des empathies communautaires. Il faut cependant avoir une méfiance particulière envers les possibilités de radicalisme religieux provoquant « la cristallisation de l’opinion ». Face aux enjeux de la compréhension de l’opinion publique et à leurs outils d’analyse, il faut rester vigilant. Cette méfiance a aussi été rappelée par Véronique Senèze qui insiste sur le risque d’affaiblissement des outils de communication et le nécessaire recul du gouvernement sur les éléments collectés. La veille internet gouvernementale par exemple, a pour objectif d’observer la construction de l’opinion publique afin de mettre en place des stratégies. Elle passe par l’analyse des distorsions d’informations, des rumeurs, des réactions face aux actions du gouvernement sur internet. En situation de crise, l’objectif est de faire remonter la perception des risques et les témoignages des internautes. Par ailleurs, agir sur l’opinion publique nécessite la création de besoins spécifiques. Le point commun entre le domaine civil et le domaine militaire est le champ des confrontations. Philippe Monet du groupe Total décrit l’impact des e-média dans le cadre de la gestion des risques. L’exemple récent et sans précédent a été la couverture médiatique lors de l’explosion de la plate-forme pétrolière « Makonbo » dans le golfe du Mexique. L’événement a provoqué un flot d’information diffusé en continu et en temps réel. Les besoins en gestion de crise relèvent de la nécessité de préparer des scénarios, d’avoir des experts crédibles, d’établir une relation de confiance avec le public, les médias et les ONG. La seconde illustration touche l’utilisation des réseaux sociaux par les salariés de l’entreprise constituant un risque majeur pour la protection des données. La création d’une charte d’utilisation devrait permettre de sensibiliser les salariés sur la question.

D’un point de vue militaire, pour gérer l’environnement, il faut pouvoir connaître les acteurs de la société. L’opinion publique est acteur du théâtre d’opération et agit dans le champ des confrontations. Les militaires ont donc des besoins en concepts et en doctrines pour permettre l’atteinte des objectifs fixés. Le colonel Jean-François Bianchi rappelle le corpus doctrinal mis en place au sein du CICDE (Centre interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations). Il s’agit par exemple de la doctrine relative à l’environnement humain des opérations, aux opérations d’information, aux opérations militaires d’influence et à la communication stratégique de l’OTAN. Toute une série d’opinions agit sur le terrain obligeant donc à préciser « l’audience cible » via des outils de recueil, des signaux à identifier et des systèmes d’alerte. Cerner les contours de l’opinion publique permet ensuite de faciliter la prise de décision stratégique.

L’analyse des mouvements d’opinion s’articule aussi autour des aspects éthiques et sociologiques. L’ingénieur général de l’armement Alain Crémieux relance le débat de la guerre du juste en évoquant le droit de la guerre. Une guerre ne sera perçue comme éthique par l’opinion publique que si celle-ci a la conviction que sa cause est juste. D’un point de vue sociologique, Tommaso Venturini enseigne la méthode de cartographie des controverses à l’Institut d’études politiques de Paris. Le but est de permettre d’observer la complexité des controverses et d’en construire des représentations lisibles et faciles à comprendre. D’un autre côté les sondages d’opinion sont un bon moyen pour mesurer l’opinion publique. Ils peuvent être par quotas ou par représentativité. Barbara Jankowski dénonce cependant les limites techniques liées aux méthodes peu fiables et aux erreurs d’interprétation des résultats.

Les fournisseurs de technologie ont présenté leurs méthodes, technologies et outils permettant de prendre en compte la mouvance d’opinion. Il faut d’abord souligner que le recours à l’informatique ne peut remplacer une personne dans le traitement de ces données spécifiques. Sous un angle socio-physique, Serge Galam explique la modélisation de l’opinion publique par effet de polarisation. Cependant, ce modèle n’est pas une représentation parfaite de la réalité. Par ailleurs, on assiste à un développement des technologies de traitement du langage pour la reconnaissance d’opinion. Ces outils détectent, par modélisation et de manière automatique, les différentes opinions. L’ingénieur général de l’armement Laura Chaubard indique qu’ils ont pour objectifs de comprendre l’opinion et les sentiments exprimés à partir de différents supports comme les supports écrits, audios ou multimédias. C’est le cas par exemple du projet Doxa présenté par Catherine Gouttas. Il a pour but d’analyser automatiquement et en temps réel les opinions et les sentiments sur le web 2.0 par une « fouille d’opinion ». Le dernier outil introduit par Martine Gardien traitait de la transcription automatique de données conversationnelles téléphoniques pour l’analyse de la relation clients. Il a l’avantage de pouvoir traiter un grand volume de données orales.

Pour conclure, le Colonel François Chauvancy du CICDE réaffirme l’ampleur de la problématique autour de la mouvance d’opinion. Les fonctions stratégiques impliquant un processus décisionnel doivent pouvoir garantir la légitimité d’une action par l’étude précise des audiences cibles. L’analyse de la mouvance d’opinion contribue à influencer l’environnement informationnel sur le terrain pour atteindre l’effet final recherché. Il faut donc être capable de bien connaître les pays dans lesquels la France est engagée. Cela pose aussi la question de l’importance de la crédibilité de l’Etat face aux théorie du complot et à la presse de « désobéissance civile » du type WikiLeaks. Dans ces cas, l’analyse de l’opinion publique est fondamentale pour garantir un contrôle démocratique. Enfin, les technologies, méthodes et outils présentés lors de ce colloque permettent une réelle compréhension de la mouvance d’opinion. Cependant, il ne faut pas omettre les outils déjà existants (bases de données, outils d’évaluation, outils dans les langues rares) mais plutôt les exploiter dans une cohérence globale en fonction des besoins des utilisateurs aux niveaux stratégique, tactique et opérationnel.

Johanna Vimeux

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