Pas vraiment hippies, plutôt marquis.
Histoire de cette musique de chambre des Lords
et de leurs chansons à boire… Thé, Cognac, Armagnac ou Cherry.
Un séjour en province réserve toujours son lot de surprises. Là où le paysage si pittoresque d’une rase campagne, rendue presque chauve par le froid, recouverte d’un épais manteau de neige faisant frissonner la terre, s’impose souvent à nous, il existe parfois des images différentes : des souvenirs précieux. Celui auquel je songe me vient d’un dimanche après-midi où les hommes sont habituellement terrassés par un plantureux déjeuner. On se laisse alors aller à je ne sais quel rêve engourdi dans les replis confortables de la sieste bourgeoise. Ce jour-là, le programme était tout autre. On donnait dans une église horriblement contemporaine un concert classique et parmi les œuvres interprétées figurait le concerto pour violon en mi mineur de Mendelssohn. Ce chef-d’œuvre du romantisme joué pour nous dans un cadre peu conventionnel, devant un parterre de vieillards cossus, distillait un certain charme, en dehors de la qualité de l’orchestre de chambre qui en détenait la responsabilité. Sublime de bout en bout, lyrique, charriant ce qu’il faut d’émotion pour contenter une âme bien faite, cette œuvre inoubliable me fit immédiatement songer aux manières surannées d’un autre orchestre, surgit lui dans l’effervescence d’un autre siècle, le XXème, d’une autre décennie au combien romantique, les années 60. Ce groupe répond au patronyme latin de Procol Harum. Prog, diront certains. Non. Psychédélique, à peine. Pop, à coup sûr. Comme les Moody Blues, Procol Harum cultive ce goût pour les vieilleries suaves qui ont longtemps occupé la mémoire des hommes. Prenez A Salty Dog, le morceau titre de leur troisième et meilleur album. Avec ses parfums ultramarins, ses violons néo classiques, son piano et sa voix en perdition, on songe à l’orchestre du Titanic dont les témoignages affirment qu’il joua jusqu’à ce que l’orgueilleux paquebot sombre dans les mers glaciales et blanches des pôles sépulcrales. Pourquoi une telle similitude avec le concert de Mendelssohn, je crois y avoir répondu par un terme indice qui a du vous mettre sur la voie. Néo classique. Dépositaires d’une forme d’opérette pop en romantisme symphonique, les musiciens de Procol Harum se distinguent de leurs contemporains. Moins aventureux que les Beatles, pas vraiment hype pour deux shillings, là où d’autres formations comme les Move, Incredible String Band, Arthur Brown ou Tomorrow fascinent, ils n’incarnent rien de tout cela. Sous ses apparences aristocratiques, le groupe eut pourtant le nez fin, en écrivant LE tube imparable de l’année 67 qui fit danser et s’embrasser la jeunesse du monde entier : il s’agit bien sûr de l’incontournable A Whiter Shade Of Pale, adapté de la cantate no 140 de Bach. Un peu d’histoire. Gary Brooker, Robin Trowin et BJ Wilson, futurs Procol, forment l’ossature des Paramounts, seconds couteaux d’un rythm’n’blues en vigueur en ce premier mitant des sixties. Conscient des limites du groupe, Gary Brooker se reconvertit en singer songwriter avec en tête un nouveau projet : Procol Harum, du nom du chat de leur manager de l’époque. Une autre explication tend à nourrir leur orientation néo classique. Procol Harum serait la traduction latine de cette phrase au combien mystérieuse « Of These far off things ». Avec un tel nom, le destin du groupe est scellé. Au-delà des légendes urbaines, des interprétations diverses, c’est l’équation musicale que l’on retient. L’orgue profond de Matthew Fisher, la guitare incisive, très hendrixienne, de Robin Trower et la voix gorgée de soul de Gary Brooker. Sans oublier les paroles crypto poétiques de Keith Reid. Cette formule savante trouvera son équilibre dans leur premier album suivi de Shine On Brightly. C’est avec A Salty Dog, en 1969, que le groupe s’accomplit littéralement. Quelques orchestrations discrètes complètent le dispositif, le piano de Brooker s’imposant également comme un contrepoint idéal à l’orgue baroque de Fisher. Malgré le vieux loup de mer s’étalant sur la pochette, les mélodies renvoient vers une toute autre influence picturale. Ainsi, l’on ne peut s’empêcher de penser aux peintres préraphaélites anglais de la fin du XIXème siècle, Edward Burne-Jones, John Everett Millais, John William Waterhouse. La mélancolie de leurs œuvres foisonnantes n’a sans doute pas échappé au compositeur Gary Brooker, du moins en rêve, tant des morceaux comme l’admirable All This And More semblent empreints d’une subtile tristesse que des cuivres mortuaires accompagnent sur le final. Procol Harum est un groupe d’un autre temps. On l’aurait bien imaginé jouant pour la bonne société victorienne, à l’époque où Londres captivait autant pour ses rues ordonnées que pour ses quartiers malfamés, aux bouges emplis de marins dégingandés, d’aventuriers magnifiques, de prostituées en sursis et de tueurs fous. Comme pour accentuer ce phantasme, rappelons-nous Matthew Fisher dans le clip de A Whiter Shade Of Pale avec sa capuche recouvrant son visage famélique tel le moine de Lewis. Oh, ils se commettront parfois dans je ne sais quelles aventures hasardeuses comme l’épouvantable Procol Harum Live with the Edmonton Symphony Orchestra qui ne rend évidemment pas justice à la justesse de leur propos comme sur A Salty Dog ou, dans une moindre mesure, sur Home sorti en 1970. On préférera la déflagration symphonique qui irrigue le morceau final du premier album, Repent Walpurgis. Robin Trower y fait des merveilles montrant quel grand guitariste il fut malgré l’absence d’une plus large reconnaissance et une carrière solo relativement confidentielle. Lui n’avait pas besoin d’archet pour délivrer des soli enfiévrés, magnifiques. On gardera aussi l’image désuète du groupe sur Grand Hotel, où chaque membre arbore un haut-de-forme. Malgré quelques passages au mauvais goût indéniable, les chœurs quasi slaves, le pont interminable dont les violons s’emportent dans une sorte de polka pour finir sur des trémolos de cordes, la morceau éponyme conserve une certaine tenue, dernier vestige des grandes heures du groupe. En 1973, Procol Harum semble lessivé, démodé, incapable de retrouver le souffle des premiers singles, au rang desquels figurent des perles comme Conquistador, Homburg, Quite Rightly So, Shine On Brightly, Your Own Choice. Où est passé le temps où la presse s’enthousiasmait pour cette formation anachronique, allant même jusqu’à tenter de déchiffrer la signification de A Whiter Shade Of Pale, une variété de rose pour les uns, un état d’âme pour les autres. Cette époque possédait un esprit, quelque chose de délicieux qui apparaît désormais confit, figé. Aujourd’hui, qui se réclame de Procol Harum ? Peut-être The Divine Comedy, tant pour l’appellation antique que le musique maniérée, classique, emphatique. Et combien d’autres superbes inconnus ?
14-12-2010 | Envoyer | Commentaires (1) | Lu 2564 fois | Public Ajoutez votre commentaire
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