Tandis que ma dernière note évoquait l’intervention d’une élue écologiste lors du débat budgétaire au Conseil régional de Haute-Normandie, celle du jeudi 9 décembre sur le blog de mon ami Jean-Gabriel Carasso était consacrée au rapport de Mme Marie-Odile Bouillé, députée et rapporteure pour avis de la Commission des affaires culturelles, relatif au budget de l’éducation artistique.
En contrepoint, Cécil Guitart postait un commentaire à cette note qu’on pourra lire ci-dessous.
C’était donc peu de temps avant sa brutale disparition, peut-être l’une des dernières choses publiées par cet homme du livre et de l’écrit que j’ai eu la chance de croiser à plusieurs reprises au cours de ma trajectoire militante et professionnelle.
La notice de Livre Hebdo
La mort soudaine de Cécil Guitart, connu et apprécié des bibliothécaires mais aussi du monde politique et associatif grenoblois, provoque l’émotion.
Sur son blog, le député-maire de Grenoble, Michel Destot rend hommage à Cécil Guitart, mort soudainement le dimanche 12
décembre : “Nous lui devons de pouvoir proposer aujourd’hui aux Grenoblois un formidable réseau de bibliothèques, présent dans tous les quartiers de notre ville.”
Conservateur général, Cécil Guitart a en effet été l’un des premiers artisans du bond en avant de la lecture publique avec la création, dans les années 1970, de l’exemplaire réseau de lecture
publique de Grenoble qui comprenait notamment l’innovante bibliothèque Grand’Place.
Avant de devenir en 1986 responsable des bibliothèques au côté du directeur du livre Jean Gattegno, il est l’un des cinq premiers conseillers pour le livre à la Drac de Lyon et à l’origine de
l’Agence de coopération documentaire et de l’Office Rhônes-Alpes du livre.
En 1989, il travaille au pôle européen universitaire de Grenoble puis devient quelques années l’adjoint au maire Michel Destot tout en continuant de travailler avec le monde associatif
dans lequel il était reconnu comme un infatigable militant de l’éducation populaire.
“Cécil Guitart était un homme de conviction et de passion mais aussi un homme qui savait parler aux élus et qui a beaucoup contribué au développement des relations entre l’Etat et les
collectivités locales dans le contexte de la décentralisation”, se souvient Georges Perrin, qui lui succéda au poste de conseiller du livre à Grenoble en 1986
Le commentaire de Cécil Guitart suite à la note La culture à l’Assemblée.
Pour faire un joli contrepoint (à la note de J.G. Carasso sur le budget 2011 de l’éducation artistique NDLR) voici le texte intégral du discours prononcé par Victor Hugo où il est question de préférer budgétairement la culture à l'ignorance.
QUESTION DES ENCOURAGEMENTS AUX LETTRES ET AUX ARTS
10 novembre 1848.
M. LE PRÉSIDENT.-L'ordre du jour appelle la discussion du budget rectifié de 1848.
M. VICTOR HUGO.-Personne plus que moi, messieurs ( Plus haut! plus haut! ), n'est pénétré de la nécessité, de l'urgente nécessité d'alléger le budget; seulement, à mon avis, le remède
à l'embarras de nos finances n'est pas dans quelques économies chétives et détestables; ce remède serait, selon moi, plus haut et ailleurs, il serait dans une politique intelligente et
rassurante, qui donnerait confiance à la France, qui ferait renaître l'ordre, le travail et le crédit ... ( agitation ) et qui permettrait de diminuer, de supprimer même les énormes dépenses
spéciales qui résultent des embarras de la situation. C'est là, messieurs, la véritable surcharge du budget, surcharge qui, si elle se prolongeait et s'aggravait encore, et si vous n'y preniez
garde, pourrait, dans un temps donné, faire crouler l'édifice social.
Ces réserves faites, je partage, sur beaucoup de points, l'avis de votre comité des finances. J'ai déjà voté, et je continuerai de voter la plupart des réductions proposées, à l'exception de
celles qui me paraîtraient tarir les sources mêmes de la vie publique, et de celles qui, à côté d'une amélioration financière douteuse, me présenteraient une faute politique certaine.
C'est dans cette dernière catégorie que je range les réductions proposées par le comité des finances sur ce que j'appellerai le budget spécial des lettres, des sciences et des arts.
Ce budget devrait, pour toutes les raisons ensemble, être réuni dans une seule administration et tenu dans une seule main. C'est un vice de notre classification administrative que ce budget
soit réparti entre deux ministères, le ministère de l'instruction publique et le ministère de l'intérieur. Ceci m'obligera, dans le peu que j'ai à dire, d'effleurer quelquefois le ministère de
l'intérieur. Je pense que l'assemblée voudra bien me le permettre, pour la clarté même de la démonstration. Je e ferai, du reste, avec une extrême réserve. Je dis, messieurs, que les réductions
proposées sur le budget spécial des sciences, des lettres et des arts sont mauvaises doublement. Elles sont insignifiantes au point de vue financier, et nuisibles à tous les autres points de
vue. Insignifiantes au point de vue financier. Cela est d'une telle évidence, que c'est à peine si j'ose mettre sous les yeux de l'assemblée le résultat d'un calcul de proportion que j'ai fait.
Je ne voudrais pas éveiller le rire de l'assemblée dans une question sérieuse; cependant, il m'est impossible de ne pas lui soumettre une comparaison bien triviale, bien vulgaire, mais qui a le
mérite d'éclairer la question et de la rendre pour ainsi dire visible et palpable.
Que penseriez-vous, messieurs, d'un particulier qui aurait 1,500 francs de revenu, qui consacrerait tous les ans à sa culture intellectuelle, pour les sciences, les lettres et les arts, une
somme bien modeste, 5 francs, et qui, dans un jour de réforme, voudrait économiser sur son intelligence six sous? ( Rire approbatif .)
Voilà, messieurs, la mesure exacte de l'économie proposée. ( Nouveau rire .) Eh bien! ce que vous ne conseilleriez pas à un particulier, au dernier des habitants d'un pays civilisé, on ose le
coneiller à la France. ( Mouvement .)
Je viens de vous montrer à quel point l'économie serait petite; je vais vous montrer maintenant combien le ravage serait grand.
Pour vous édifier sur ce point, je ne sache rien de plus éloquent que la simple nomenclature des institutions, des établissements, des intérêts que les réductions proposées atteignent dans le
présent et menacent dans l'avenir.
J'ai dressé cette nomenclature; je demande à l'assemblée la permission de la lui lire, cela me dispensera de beaucoup de développements. Les réductions proposées atteignent:
Le collège de France,
Le muséum,
Les bibliothèques,
L'école des chartes,
L'école des langues orientales,
La conservation des archives nationales,
La surveillance de la librairie à l'étranger ... (Ruinecomplète de notre librairie, le champ livré à la contrefaçon!)
L'école de Rome,
L'école des beaux-arts de Paris,
L'école de dessin de Dijon,
Le conservatoire,
Les succursales de province,
Les musées des Thermes et de Cluny,
Nos musées de peinture et de sculpture,
La conservation des monuments historiques.
Les réformes menacent pour l'année prochaine:
Les facultés des sciences et des lettres,
Les souscriptions aux livrés,
Les subventions aux sociétés savantes,
Les encouragements aux beaux-arts.
En outre,-ceci touche au ministère de l'intérieur, mais la chambre me permettra de le dire, pour que le tableau soit complet,-les réductions atteignent dès à présent et menacent pour l'an
prochain les théâtres. Je ne veux vous en dire qu'un mot en passant. On propose la suppression d'un commissaire sur deux; j'aimerais mieux la suppression d'un censeur et même de deux censeurs.
( On rit .)
UN MEMBRE.-Il n'y a plus de censure!
UN MEMBRE, à gauche.-Elle sera bientôt rétablie!
M. VICTOR HUGO.-Enfin le rapport réserve ses plus dures paroles et ses menaces les plus sérieuses pour les indemnités et secours littéraires. Oh! voilà de monstrueux abus! Savez-vous,
messieurs, ce que c'est que les indemnités et les secours littéraires? C'est l'ex
istence de quelques familles pauvres entre les plus pauvres, honorables entre les plus honorables.
Si vous adoptiez les réductions proposées, savez-vous ce qu'on pourrait dire? On pourrait dire: Un artiste, un poëte, un écrivain célèbre travaille toute sa vie, il travaille sans songer à
s'enrichir, il meurt, il laisse à son pays beaucoup de gloire à la seule condition de donner à sa veuve et à ses enfants un peu de pain.
Le pays garde la gloire et refuse le pain. ( Sensation .)
Voilà ce qu'on pourrait dire, et voilà ce qu'on ne dira pas; car à coup sûr, vous n'entrerez pas dans ce système d'économies qui consternerait l'intelligence et qui humilierait la nation. (
C'est vrai! )
Vous le voyez, ce système, comme vous le disait si bien notre honorable collègue M. Charles Dupin, ce système attaque tout; ce système ne respecte rien, ni les institutions anciennes, ni les
institutions modernes; pas plus les fondations libérales de François Ier que les fondations libérales de la Convention. Ce système d'économies ébranle d'un seul coup tout cet ensemble
d'institutions civilisatrices qui est, pour ainsi dire, la base du développement de la pensée française.
Et quel moment choisit-on? C'est ici, à mon sens, la faute politique grave que je vous signalais en commençant; quel moment choisit-on pour mettre en question toutes ces institutions à la fois?
Le moment où elles sont plus nécessaires que jamais, le moment où, loin de les restreindre, il faudrait les étendre et les élargir.
Eh! quel est, en effet, j'en appelle à vos consciences, j'en appelle à vos sentiments à tous, quel est le grand péril de la situation actuelle? L'ignorance. L'ignorance encore plus que la
misère. ( Adhésion .)
L'ignorance qui nous déborde, qui nous assiége, qui nous investit de toutes parts. C'est à la faveur de l'ignorance que certaines doctrines fatales passent de l'esprit impitoyable des
théoriciens dans le cerveau confus des multitudes. Le communisme n'est qu'une forme de l'ignorance. Le jour où l'ignorance disparaîtrait, les sophismes s'évanouiraient. Et c'est dans un pareil
moment, devant un pareil danger, qu'on songerait à attaquer, à mutiler, à ébranler toutes ces institutions qui ont pour but spécial de poursuivre, de combattre, de détruire l'ignorance!
Sur ce point, j'en appelle, je le répète, au sentiment de l'assemblée. Quoi! d'un côté la barbarie dans la rue, et de l'autre le vandalisme dans le gouvernement! ( Mouvement .) Messieurs, il
n'y a pas que la prudence matérielle au monde, il y a autre chose que ce que j'appellerai la prudence brutale. Les précautions grossières, les moyens de police ne sont pas, Dieu merci,
le dernier mot des sociétés civilisées.
Commentaire n°2 posté par cecil GUITART il y a 4 jours à 09h49
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