Étonnant pour un parti rempli de préjugés « gauchistes », selon les termes des télégrammes diplomatiques révélés par WikiLeaks, de se référer à l’exemple du grand frère américain pour singer ses primaires. C’est pourtant ce qu’a décidé le Parti socialiste, dans la foulée d’un démocratisme de saison plus que de raison. La « transparence » est à la mode mais la société de caste française y est allergique. « Le pouvoir ! Monsieur Elkabbach, le pouvoir ! » Ainsi parlait Mitterrand par la voix de sa marionnette. Les militants gardent jalousement le privilège d’être initiés, tandis que les élites se préservent dans la société de cour. Monsieur de Villepin peut fustiger la paille autour de Nicolas Sarkozy, il feint d’ignorer la poutre sous Chirac qui imitait Mitterrand !
Or il n’en est rien. Le PS hésite entre les primaires à l’américaine, issue du système présidentiel pur, et la désignation d’un candidat dans un système parlementaire classique.
• Aux États-Unis, un seul tour, pas de concours de beauté préalable : donc nécessité de se rassembler malgré les nuances parfois très fortes (qu’y a-t-il de commun entre les conservateurs et les libertariens ?). Les partis sont des machines électorales à faire gagner, à force de gros sous et de militantisme original (Internet pour Obama, les Tea parties pour les Républicains). Les primaires servent à élaguer les faibles ou les peu médiatiques, et à faire connaître celui qui peut devenir « le » président. Ce pourquoi un presqu’inconnu du grand public peut être élu. C’est son personnage qui compte, image issue de sa personnalité mais aussi de sa prestance et de sa capacité à réagir face aux caméras en situation de stress.
• Au Royaume-Uni, les choses sont claires dès le départ : le chef du gouvernement sera le chef du parti arrivé majoritaire aux élections législatives. Aucune surprise, sinon l’émergence plus ou moins forte d’une troisième voie, qu’elle soit idéologique (Tony Blair) ou partisane (le parti libéral). Les partis sont des groupements d’intérêts dont l’idéologie dominante est pragmatique, s’adaptant avec souplesse aux aléas du temps et des luttes de classes. Les dirigeants sont élus dans les partis selon une procédure bien établie et contrôlée. La personne compte moins qu’en régime présidentiel, l’équipe et ses équilibres politiques ont une plus grande importance.
Rien de tel au PS. Les primaires se veulent une avancée démocratique comme aux États-Unis, mais retardée pour cause d’appareil et de petits arrangements entre amis. Si les Socialistes désignaient dès le début de la législature leur leader, le problème de sa légitimité ne se poserait pas. Le parti aurait cinq ans pour se mettre en ordre de bataille et creuser ses idées. Le candidat/la candidate pourrait grouper autour de lui une équipe prête à gouverner ou à tester ses idées, l’équivalent du shadow cabinet anglais. Mais ce n’est évidemment pas comme cela que ça se passe…
Le Parti socialiste reste en effet tiraillé entre une moitié sociale-démocrate comme dans le reste de l’Europe, et une moitié gauchiste-léniniste comme il y a trente ans. Seul un Mitterrand, politicien rusé et aguerri, peut marier cette carpe et ce lapin en laissant croire à tout interlocuteur qu’il est bien d’accord avec lui, tout en mettant en concurrence les idées et les programmes – lui se contentant de régner, souverain. N’est pas Mitterrand qui veut : ni Jospin, ni Delors, ni Royal, ni Aubry n’y ont réussi. Seul DSK y parvient, mais parce qu’il est loin et se tait, tenu à la réserve par son mandat au FMI. Dominique Strauss-Kahn est un peu comme feu le roi de France : tout ce qui survient l’est en son nom, mais il n’est pas forcément au courant et quiconque peut venir solliciter sa grâce. Imaginez qu’il entre en campagne : ce charisme s’écroulerait. Obligé de prendre position, il s’aliénerait aussitôt tous ceux qui le trouvent trop ou pas assez. Ainsi s’explique à mon avis la diagonale du fou opérée par Ségolène Royal. Refusant le coup d’État permanent du gaullisme version 1962, les Socialistes sont condamnés au coup d’éclat permanent, simplement pour exister dans le système.
Le Parti socialiste a donc mal choisi sa formule. Ne voulant vexer idéologiquement personne, ni faire du parti une machine à élire, il n’a réussi qu’à monter une machine à perdre. Cela me rappelle ces vieux buvards du début des années 1960, où était dessinée un impeccable appareil plein de rouages, de poulies, de leviers et d’engrenages. Il était merveilleux à l’œil de suivre la logique des forces du point A à remplir de sable au point B d’arrivée. De quoi rêver lorsque la classe ennuyait. Sauf que le résultat était… un tout bête pâté de sable qu’on aurait fait aussi bien avec un seau.