Combien de fois faudra-t-il le dire et le répéter pour que cela entre dans les caboches des technocrates – surtout de gauche ? Comparée à l’Allemagne, pays très semblable à elle depuis deux siècles, la France va mal. Aucun yaka ne peut renverser la vapeur. Il faut un rigoureux changement de mentalité pour adapter le pays au monde – et cesser de feindre une fois pour toute que c’est au monde de s’adapter à nos mœurs.
Mais, si, c’est grave ! Voilà pourquoi la France est en faillite et fait comme s’il n’en était rien.
L’Allemagne s’est redressée après le choc de la mondialisation et l’abandon du mark. La France s’est enfoncée malgré une démographie plus optimiste et la bénédiction de l’euro. Aujourd’hui, l’écart des modèles est criant : la France penche vers la Grèce dans la gabegie publique dépensière, tandis que l’Allemagne fait jeu égal avec les grands du monde pour son industrie. MALGRÉ la force relative de l’euro, la compétition internationale et les délocalisations !
Pourtant, ce n’était pas écrit, au contraire. « Il y a quelques chose de stupéfiant à constater l’absolu parallélisme, depuis 1870, des niveaux de productivité dans les deux pays, en 1913, 1950, 1973, 1989 et finalement aujourd’hui », analyse Jacques Mistral. Mais la part de l’industrie, qui n’est qu’à peine supérieure en Allemagne en 1870, creuse l’écart dès la première moitié du XXe siècle : elle emploie 45% de la main d’œuvre en 1973 contre 38,5% pour la France. L’économie allemande se spécialise pour un tiers de plus que la France dans les secteurs exigeant plus de capital. La conclusion de l’analyse est « que la France se singularise de très longue date par l’insuffisance de l’épargne des entreprises (le taux d’autofinancement de leurs investissements est actuellement tombé à un niveau très bas) et par les déficits publics récurrents. Ces deux points constituent la différence macroéconomique majeure avec l’Allemagne. »
Il y a une « préférence française pour la dépense » qui ne dégage pas les ressources complètes qu’exige la modernisation industrielle. Ce qui explique les dévaluations monétaires, véritables dopant de cette anémie en capital ! « En se bornant aux principales étapes, on retiendra les dévaluations du Front populaire puis celle de la Libération, celles de la décolonisation et de l’entrée dans le Marché commun, celles des Trente glorieuses et celles de l’Union de la Gauche et les dernières, celles d’Édouard Balladur. » Le mark vaut 1,23 franc constant en 1913 et 3,35 francs constant en 1998 !
Malgré cela, la croissance du PIB français est restée voisine de celui de l’Allemagne. C’est qu’il existe différentes variantes du capitalisme : libéral en Angleterre, coordonné en Allemagne et en Scandinavie, il est d’État en France. D’où l’influence chez nous de la politique. « En résumé, les années 1958-1981 sont une période où les réponses à la ‘contrainte extérieure’ ont été définies comme l’instrument d’une grande ambition nationale : réussir le pari européen. A partir de 1983 se développent les craintes face à la mondialisation et, pour faire bouger un pays devenu plus rétif, les gouvernements utilisent les ‘contraintes européennes’ comme levier d’adaptation. » La mue libérale de l’économie française sous les Socialistes post-1983 se double d’un dolorisme d’État qui victimise tous ceux qui sont touchés et s’engage dans l’éternel pansement public. « Ce qui va progressivement engourdir le pays dans une sorte d’anesthésie sociale ». Le volontarisme gaullien échoue dans le toilettage du soin Aubry…
Tout ce qui permet d’adapter la France au monde qui change s’effectue désormais « en cachette », montre Jacques Mistral. « La gauche, sous la présidence de François Mitterrand, et malgré les positions dissonantes de Jacques Delors et de Michel Rocard, n’assumera jamais explicitement ces orientations qui seront présentées comme les inévitables concessions à une mondialisation qui, en bref, ‘n’autorise pas le progrès social dans un seul pays’. » Les gouvernements de droite sous Chirac « aggraveront ces travers en échouant, en 1995, à réformer la protection sociale avant d’adopter à leur tour la rhétorique de la fracture sociale. Dans un tel contexte, l’adhésion au moins tacite aux bienfaits de l’ouverture internationale s’effrite et la demande de protection ne cesse de s’étendre. » La gauche n’a pas voulu expliquer la modernisation, la droite y a renoncé (l’éternel abandon Chirac) « allant jusqu’à inscrire le principe de précaution dans la Constitution » !Pourtant la vitalité démographique existe en France. Ce pourquoi la campagne présidentielle 2007 a fait naître un tel espoir d’ouverture au changement. Parmi les 500 premières entreprises mondiales, 27 sont françaises, à comparer aux 28 anglaises et 19 allemandes. En regard de ces atouts, la compétitivité de l’économie française se dégrade par répugnance à simplifier la bureaucratie des contrôles et des taxes ; le solde de la balance courante reste en déficit dans tous les secteurs, et surtout en zone euro ! Ce n’est donc ni la faute à la force de l’euro ni à la concurrence de la Chine : c’est bien de notre faute à nous si nous faisons moins bien que nos voisins concurrents. Cette faute est « l’excès de demande, la dégradation des coûts et le désordre des finances publiques. » Hausse de la consommation et coûts salariaux unitaires de +8% par rapport à l’Allemagne, envol de la dette publique. La France est bien cigale, à vivre au-dessus de ses moyens en endettant la génération suivante. Seule la monnaie unique a jusqu’ici évité la sanction…
« Pour une économie ouverte et en situation d’excès de demande, il n’y a qu’une politique qui autorise la progression du pouvoir d’achat, c’est celle qui mise sur une offre compétitive. » Les réformes de l’ère Sarkozy ont cherché à accroître la flexibilité (heures supplémentaires, simplification du licenciement). En même temps d’augmenter le potentiel de croissance (loi de modernisation économique, dotation aux universités). Mais les réformes ont été partielles et coûteuses pour acheter ‘la paix sociale’ ; elles sont donc peu efficaces à court terme et à reprendre à long terme – la dernière réforme des retraites est emblématique. La gestion des finances publiques « est certainement ce qui a le plus gravement compromis le déroulement de ce quinquennat », analyse Jacques Mistral. La dette structurelle augmente sans qu’existe, comme en 1958, une grande ambition nationale.
On parle retraite et sécurité alors qu’il faudrait plutôt mettre son énergie sur les emplois compétitifs de demain ! Hélas, la gauche ne propose aucune alternative crédible.