Mystère Saint-Saëns

Publié le 14 décembre 2010 par Les Lettres Françaises

Mystère Saint-Saëns

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Camille Saint-Saëns (1835-1921) : il est détesté ou porté aux nues ! Son fléau oscille du tout au tout, comme chez Richard Wagner, le génie en moins, évidemment. Un observateur le remarquait, naître avec l’Élixir d’amour de Gaetano Donizetti et disparaître, chahuté par le Sacre du printemps d’Igor Stravinsky, ne constitue pas un parcours de tout repos !

L’excellent Jacques Bonnaure, à l’humour féroce et à la science profuse, nous raconte le parcours du maître doté d’une oeuvre plus abondante qu’on ne le croit généralement. J. Bonnaure soutient qu’il est difficile de reconnaître la musique de Saint-Saëns quand Chopin, Schumann ou Tchaïkovski, etc., se devinent sur-le-champ. C’est que l’artiste ne démordit pas d’un attachement forcené au style classique, quelque peu dépassé, rejetant par ailleurs sans relâche un romantisme qui n’en finissait pas et engendrait déjà d’autres courants.

Jeune, il fut adepte de R. Wagner, assista au Festival de Bayreuth à deux reprises. Et notamment à son inauguration, pour, ultérieurement, vouer le compositeur du Ring aux gémonies, surtout après 1870 et le désastre de Sedan. Pour autant, il ne s’aligna pas sur Vincent d’Indy, le rival de la Schola Cantorum atterri chez Charles Maurras. Saint-Saëns était républicain et patriote !

Fantasque, à la vie privée pour le moins curieuse (il faillit épouser Augusta Holmès), s’échappant sans cesse lors de voyages, surtout européens, également en Algérie, qu’il fréquenta beaucoup sur la fin de sa longue vie. Mais il n’établit aucune relation esthétique  valable entre la musique arabe et la musique occidentale (en dépit d’un 4e Concerto pour piano, surnommé l’Égyptien). Il fut et demeure un parangon de l’académisme ; académisme qui n’est pas forcément sans charmes, comme le montre la nouvelle saison musicale de l’Auditorium d’Orsay, qui en a fait son thème. Saint-Saëns ne parvint jamais à la Villa Médicis, contrairement à nombre de ses collègues, et eut bien du mal à entrer à l’Institut. En revanche, il fut à l’origine de la Société nationale de musique, véritable renaissance de la musique française après 1870.

Son oeuvre, en partie oubliée, est rarement jouée, à l’exception de pièces majeures comme ses concertos pour piano, violon et violoncelle. Saint-Saëns était organiste (il composa une Symphonie pour orgue), notamment à l’église de la Madeleine où son goût de la mondanité pouvait s’épanouir ; ses funérailles y eurent lieu en grande pompe. Ce fut également un pianiste virtuose.

L’éditeur Hortus a publié plusieurs de ses disques religieux qui méritent plus que l’attention. Les autorités de l’Église, toujours en vaine recherche de pépites, devraient s’y attarder. Dans le genre de la musique instrumentale, ses dernières années ont été fertiles, là aussi, en surprises – et pas seulement la Sonate pour violon et piano, op. 75, antérieure, qui contiendrait les fameuses mesures d’un certain Vinteuil, si chères à Proust.

Ne négligeons pas non plus ses très nombreux opéras qui illustrent bien l’époque. Surtout le vénéneux Samson et Dalila, soutenu par le fidèle Franz Liszt et entouré de toute une antiquaillerie fin de siècle ayant provoqué l’ouverture, un temps, des Arènes de Béziers. N’oublions pas non plus des poèmes symphoniques comme la Danse macabre, le Rouet d’Omphale, Phaeton, et ce trésor des trésors, le Carnaval des animaux. Jacques Offenbach lui-même eût été incapable de le concevoir. Mystère Saint-Saëns !

Claude Glayman

Saint-Saëns,
de Jacques Bonnaure, préface
de Jean-François Heisser. Éditions Actes Sud/
Classica, 18 euros.

Décembre 2010 – N°77