Heureux qui, comme Robert Groborne…
***
Dans un coin de la galerie d’Alain Margaron, en novembre, presque caché, un coffre (?) blanc sur un fond bleu pâle, un peu sale. Si l’œuvre se détache du reste, c’est que la production plastique de Robert Groborne est dominée par le noir, associé dans la culture occidentale à la mort ou au deuil. Et pourtant, l’effet ressenti est celui d’apaisement. Doit-on ce sentiment à la composition équilibrée de ces travaux, aux formes souvent presque symétriques qui, en remplissant l’essentiel de la surface, acquièrent une stabilité ? Ou encore, ces natures mortes de nouveau type, ces présences figées, secrètent-elles cette sérénité silencieuse ?
Sans aucune virtuosité gratuite, sans concession au pathos, le peintre s’arrête à la forme qui lui semble la mieux susceptible, non pas d’imiter un motif, mais d’en donner l’essentiel. Autrement dit, des images qui prennent le risque de renoncer à la séduction.
À l’opposé d’une démarche éclectique, ces travaux aux structures analogues se transforment en images signatures immédiatement identifiables par les visiteurs. Face à cet univers singulier, on cherche à comprendre les configurations étranges qui se répètent sans qu’on puisse véritablement parler de série. La fascination qu’elles exercent sur le spectateur vient du fait que Groborne ne les considère plus comme un motif qui s’intègre dans un cadre plus général, mais comme un élément à part, séparé du reste du monde, et qui possède son caractère propre. On parlera plutôt du thème et de ses variations qui, à la différence de la série, échappent à toute prédestination, à toute formule définitive.
L’oeuvre, peu loquace, refuse la narration ou l’anecdote, ne cherche pas à mettre le réel à l’épreuve à l’aide d’une description minutieuse ou exhaustive. D’une frontalité marquée qui ne tolère aucune exception, les formes, sobres et dépouillées de tout détail superflu, se trouvent pour ainsi dire en première ligne, sur la peau de la peinture. Cependant, le regard qui tente de percer ce qui se cache derrière ces formes simples et efficaces est tenu à distance.
Des cryptes ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, ces objets toujours fermés et muets semblent préserver un secret. Objets, car Groborne pratique également la sculpture. Mais ces plaques fines ne sont-elles qu’une autre manière de faire la peinture ? Ou ses oeuvres picturales ne seraient-elles que les ombres projetées de ces tablettes dont la patine lisse dissimule les différents matériaux recyclés par l’artiste ? Isabelle Monod-Fantaine écrit : « Groborne circule délibérément d’une technique à l’autre, explore leurs confins pour mieux user et ronger leurs frontières, les rendre poreuses… »
Un point commun à tous ces travaux : l’absence de personnages. Tout laisse à penser que l’artiste ressent le besoin de se trouver seul face à son objet, d’éliminer toute concurrence, d’exclure la présence humaine. C’est peut-être pour cette raison qu’il faut du temps pour pénétrer dans l’univers de Groborne, mais lorsqu’il s’installe en nous, c’est en profondeur.
Itzhak Goldberg
Robert Groborne, le voyageur immobile, par Isabelle Monod-Fontaine, 112 pages, Alain Margaron Éditeur, 25 euros.
Décembre 2010 – N°77