Dans un autre palais, Palazzina dei Giardini, on trouve un cercle de pierres rouges, presque sanglantes, de Richard Long (Arizona Circle), comme un signe d’une communion animiste avec la terre, puis la superbe ‘Chaise du Nirvana‘ (1997) de
Chen Zhen, sphère aérienne et transparente, assemblage fragile de chaises venant du monde entier, reposant en équilibre sur des arceaux de berceau ou de cheval de bois, monde ouvert, précaire et audacieux,
message d’optimisme et d’audace. Un peu plus loin, une salle est baignée d’une étrange lumière rouge : sur le mur du fond, une lumière irréelle, dont
on ne sait si elle est concave ou plate, et dans laquelle on avance précautionneusement la main, voulant toucher, comprendre, être certain, comme saint Thomas. C’est une composition magique (Sans Titre; 2004) d’
Anish Kapoor, sans doute l’endroit de l’exposition où se manifeste le plus l’espace du sacré.
Ailleurs dans Modène, il faut aller au
Museo Civico d’Arte, où, au détour des salles archéologiques et historiques, on arrive dans un cabinet des tissus, tissages, broderies et rubans en tout genre. On remarque, parsemés au milieu des objets de la
collection Gandini, d’autres objets, fort discrets, mais un peu insolites : citations brodées d’Hannah Arendt ou de Simone Weil (pas Veil), formes légères de feuilles et de fleurs en dentelle volant autour d’un dictionnaire ouvert à la page ‘plante-planter’, découpe minutieusement architecturée de cahiers créant des pyramides babyloniennes,
textes brodés dans des carnets aux pages en tissu quadrillé.
Sabrina Mezzaqui (dont j’avais découvert le travail à Naples) est une artiste de la finesse et de la discrétion, nourrie de philosophie, qui laisse une empreinte à peine perceptible, mais inoubliable. Une citation d’Hannah Arendt donne son titre à l’exposition: ‘la realtà non è forte’ (jusqu’au 13 février).
Plusieurs de ces artistes étant soutenus par la Galleria Continua, il serait dommage, entre Émilie-Romagne et Toscane, de ne pas pousser jusqu’à
San Gimignano : de la même manière que l’art contemporain dans les musées (
Jan Fabre au Louvre ou
Jeff Koons à Versailles, tant décriés par nos conservateurs) s’inscrit dans une continuité historique et culturelle, ici, dans ce bourg médiéval, l’art contemporain s’inscrit aussi sans rupture au sein d’un patrimoine prestigieux (et, apparemment,
les conservateurs italiens du patrimoine ne hurlent pas, eux). On croise en chemin une place
Daniel Buren (à
Colle di Val d’Elsa), puis, dans le bourg même, un Anish Kapoor au fond d’un puits, un Kounellis en l’air, et ces tombeaux-berceaux colorés de
Letizia Cariello (ci-dessus, ‘Il cielo stellato sopra di me’), drôles et tragiques à la fois. On peut aussi faire un détour par l’église des Augustiniens où les fresques de
Benozzo Gozzoli racontent la vie de
Saint Augustin avec un réalisme étonnant : ici, dans la partie droite de la fresque, un élève récalcitrant fouetté par son maître à l’école de Thagaste alors que le futur saint, lui, est bien sage à gauche.
La Galleria Continua propose donc (jusqu’au 29 janvier) deux expositions : l’annexe présente des miroirs de
Michelangelo Pistoletto, ‘Buco nero’, où une partie de la surface réfléchissante est remplacée par un matériau noir, absorbant. C’est une confrontation du présent et du passé, du visible et de l’invisible, du fini et de l’infini. Ailleurs, une pyramide de miroirs s’élève dans une salle profonde.
Le principal espace de la galerie, un ancien cinéma, est principalement dédié à
Pascale Marthine Tayou et à ses productions protéiformes, statuettes, téléviseurs, tables, échelles, inscriptions en néon, diamants noirs, tous ces liens ironiques et cruels entre métropole et colonie (’Transgressions‘). Comme à chaque fois, on est pris dans un tourbillon d’émotions, de sensations, qui laisse pensif. L’ironie décapante n’est jamais loin : à l’entrée de la galerie, sous une roue de fête foraine aux insultes, on passe entre deux
grandes statues de bronze ‘de style égyptien’ (comme disait le
Douanier) représentant un homme amputé d’un bras et d’une jambe, incapable d’aller à la guerre, et restant donc au village avec les femmes, ce qui permit un développement démesuré de son pénis (et un repeuplement intense du village). Ce talisman sacré de Priape, qu’il est de bon ton de vénérer à chaque passage, gage de puissance et de fertilité, clôt fort bien ce périple dans le sacré, commencé avec le Cantique des Cantiques.
Photos Plensa, Cariello, Pistoletto et Tayou de l’auteur. Jaume Plensa, Chen Zhen et Pascale Marthine Tayou étant représentés par l’ADAGP, les photos de leurs oeuvres seront retirées du blog à la fin des expositions.