Les plus attentifs parmi vous, amis lecteurs, auront très certainement remarqué que pour accueillir, les 27 novembre et le 4 décembre, deux articles faisant allusion aux pratiques thanatopraxiques mises au point par les Egyptiens de l'Antiquité aux fins d'assurer à leur dépouille une éternité dans l'Au-delà, j'avais cru bon d'ouvrir une nouvelle rubrique que, reprenant une partie du titre d'un ouvrage capital en la matière rédigé par l'égyptologue Jan Assmann, j'ai tout simplement intitulée Mort et Au-delà ...
Parce que j'ai besoin des deux prochains samedis avant les vacances de Noël pour apposer le point final à notre introspection de la chambre sépulcrale d'Iufaa ; parce qu'ayant terminé, mardi dernier l'évocation des statuettes de chats de la vitrine 3 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes et que je n'escompte pas commencer aujourd'hui celle des chiens qu'il me faudrait interrompre pendant les quinze jours de vacances que m'offre mon blog et que je vous rétrocède ; et parce qu'en outre j'estime opportun de présenter une suite aux deux interventions dédiées à l'embaumement que je citais à l'instant, je voudrais aujourd'hui, bien que l'on soit mardi, poursuivre la relation des différentes étapes du rituel funéraire par la cérémonie que les égyptologues ont pris l'habitude de nommer Rite de l'Ouverture de la bouche dont vous connaissez très certainement cette représentation dans l'hypogée de Toutankhamon.
(A nouveau, un tout grand merci à Thierry Benderritter,
d'OsirisNet, pour la gentillesse avec laquelle il continue à généreusement m'autoriser à lui emprunter ses propres clichés dont celui ci-dessus qu'il a
pris de la première scène du mur nord de la chambre funéraire du jeune souverain.)
En préambule, me permettez-vous un peu d'humour bien involontaire ?
Tablant sur le fait que tout le monde en parle, en bien comme en mal, et puisque, de temps en temps, je vous propose un lien vers une documentation que j'ai jugée scientifiquement valable, j'ai quelque peu "feuilleté" Wikipedia et, à l'entrée "Ouverture de la bouche", ai trouvé cette phrase : " Une fois ces étapes terminées, avec l'aide d'une herminette, on touche la bouche, le nez, les oreilles et les yeux du visage du sarcophage.", qui m'invite à "cliquer" sur le terme herminette - au demeurant tout à fait correct dans le vocabulaire égyptologique -, pour visualiser l'instrument, pensais-je dans ma candeur naïve, dont se servait rituellement le prêtre funéraire en charge de cette cérémonie.
Faites comme moi, amis lecteurs, avec le bouton gauche de la souris. Et vous aurez vite compris la raison pour laquelle un jeune élève ayant préparé, assorti de cette photographie, un petit travail qu'il prévoit d'oralement présenter au cours d'Histoire reviendra à la maison avec une note très en deça de la moyenne espérée ... et joyeusement gaussé par ses copains de classe qui ne se seront pas privés de citer l'un quelconque film d'horreur ...
En fait, j'eus dû plutôt vous emmener une nouvelle fois vers la salle 15 de ce même département dans laquelle déjà, souvenez-vous, nous avons rencontré le couvercle du cercueil de Pami mais aussi la vitrine dans laquelle nous avons tout à la fois découvert la momie de Pachéry et le cuilleron à narines permettant l'excérébration des cadavres.
Dans cette salle également, dans la vitrine dédiée aux funérailles, est exposée une
herminette (E 14 071) à l'image de celle que nous avons vue ci-dessus approchée par Ay, le successeur de Toutankhamon sur le trône d'Egypte,
du visage de sa momie.
Souvenez-vous, dans le premier des billets de cette nouvelle rubrique, je vous avais expliqué que les pratiques de l'embaumement s'étaient effectuées un temps dans ce que les égyptologues sont maintenant convenus d'appeler la Tente de Purification.
C'est aussi en cet endroit que certains textes nomment le Château de l' Or, qu'à tout le moins jusqu'au Nouvel Empire eut lieu la très importante cérémonie de l'Ouverture de la bouche ; par la suite, elle sera pratiquée à l'entrée même du tombeau après que le cortège funèbre, à nouveau constitué des membres de la famille du défunt, de ses voisins et des pleureuses gagées pour clamer haut le désespoir de tous, eut acheminé le sarcophage qu'accompagnait, dans les meilleurs des cas, un imposant mobilier funéraire.
Pour terminer notre rencontre de ce matin, et avant de vous donner un ultime rendez-vous en cette année 2010 qui me permettra de vous expliquer en quoi pratiquement consistait ce rituel particulier, je ne résiste pas au plaisir de vous proposer la lecture de la succulente relation qu'en 1957 fit de cette étape des funérailles le grand égyptologue français, le chanoine Etienne Drioton (1889-1961). Evoquant le défunt momifié, il écrit :
... On pratiquait alors sur lui le rite de l'Ouverture de la bouche, destiné à lui rendre l'usage de ses organes en vue de son existence dans le tombeau.
C'était une très ancienne cérémonie, dont le noyau n'était autre que la passe magique, d'origine préhistorique, par laquelle le fils du défunt capturait à la chasse l'âme échappée du corps de son père, et l'y réintroduisait. L'opération était dialoguée et mimée. Elle s'encadrait entre une lustration préliminaire et une présentation d'offrandes. Il s'accomplissait alors une série de rites au cours desquels le prêtre officiant touchait la bouche et les yeux de la momie, pour leur restituer leur fonctionnement. Une seconde oblation était offerte au mort et l'on procédait, au moins symboliquement, à sa dernière vêture, au milieu d'aspersions et d'encensements, avant de le coucher définitivement dans son sarcophage.
Un cortège funèbre emportait ensuite le cercueil au tombeau. On le descendait dans le caveau souterrain, dont on comblait le puits d'accès. Au-dessus, dans la chapelle de culte, l'officiant inaugurait la stèle fausse-porte par une offrande et une libation. Ce devoir rempli, les assistants participaient, sur le lieu même et en compagnie du défunt invisible, à un festin de gala, avec musiciens et danseuses, semblable à celui que le propriétaire d'une nouvelle maison avait coutume d'offrir aux invités qu'il y recevait pour la première fois.
En d'autres termes, si je le comprends bien, une joyeuse pendaison de crémaillère !
Plus sérieusement : mardi prochain donc, si tant est que le sujet vous intrigue, je vous expliquerai avec force détails de quoi exactement se composaient les différentes étapes de ce qu'il est convenu d'appeler Rituel de l'Ouverture de la bouche, son origine, son évolution dans le temps et ses différentes versions ...
A mardi ?
(Drioton : 1957, 188-90)