Le travail de Sylvain Doerler s'inscrit dans une optique résolument "poétique": la beauté et la vérité synthétisée sous un double rapport esthétique, à la fois narratif et pictural.
Considérant l’inconstance d’être vivant, l’auteur recourt à le technique de projection : un prisme de couleur est expulsé sur un support situé entre l’objectif et l’objet. Et cet « entre-deux », comme le conçoit le Bardo Thodol, devient comme une fenêtre dont la vue donnerait sur un monde désolidarisé du Temps. La toile du peintre figure alors la soumission du spectateur à l’humeur transitoire qui l’envahit pendant qu’il contemple un univers.
La démarche photographique privilégiée par cet artiste protéiforme repose ainsi dans la transfiguration, voire la défiguration du monde qu’un chacun croit avoir compris : d’où ce jeu autour de l’illusion, que Sylvain Doerler assume en tant que motif esthétique.
En effet, la forme des ombres figure des passions, reflétant les mille aspects, les mille aspérités comportées par l’âme. Ce n'est plus l'esprit qui contient la mémoire, mais la lumière.
C’est un passage vers un autre état : celui qui de la chair va alors à l’objet.
Lorsque l’on découvre ses « Autonomies », on pense irrémédiablement à l’influence de William Blake - dans ce renouvellement physique du mythe tout autant que dans ce chromatisme abyssal et brûlant, semblant issu du centre ardent de la Terre. Autonomie donc, mais aussi anatomie : lorsque que l’on observe ses « Solitudes privées », irrévocablement, le lyrisme authentique qui en émane évoque l’introspection organique de Fernando Pessoa, voire de Michel Leiris. Ce que l’écriture stricte de l’ouvrage confirme tout en amenant le lecteur systématiquement plus loin - entre engagement révolutionnaire et transe philosophique. Car toute confession procède, ici et en tout lieu, d’une révolte contre ce qui est admis par incompréhension.
De l'éclosion à l'explosion, des abstractions, ou l’exposition intégrale de l’intimité d’un homme à travers un art engagé. Un art réifiant le mouvement paradoxal du Logos et du Pathos : de l’autophagie à la pulsion de vie.
Un don de soi, donc - mais ce n’est pas la science qui reçoit un corps. C’est un homme qui, se découvrant, accepte un instant d’en recueillir un autre.
David Jarousseau
Sylvain Doerler est actuellement exposé jusqu'au 18 décembre 2010 à la librairie Céline Poisat,102 rue du cherche-midi, 75006 PARIS.