Connaître son père biologique est-il fondamental?
L’insémination artificielle
Les enfants issus d’un don de sperme sont de plus en plus nombreux à réclamer la levée de l’anonymat du donneur. Pour certains, connaître leur père biologique est fondamental.
Julie Philippe Dossier Famille
Au Québec, l’insémination artificielle par donation anonyme est une technique de fécondation courante, généralement utilisée par les couples infertiles. En grandissant, beaucoup d’«enfants éprouvettes» souhaitent connaître leur parent biologique.
Olivia Pratten, jeune Britanno-Colombienne de 28 ans, aimerait rencontrer son géniteur. Elle pense que cela pourrait expliquer certains de ses traits de caractère et éclairer ses antécédents médicaux. Selon elle, on ne peut pas savoir où l’on va, si l’on ne sait pas d’où l’on vient. En octobre 2008, elle a déposé un recours collectif au nom de tous les Britanno-Colombiens conçus par don anonyme de sperme, d’ovocyte (cellule féminine présente dans les ovaires) ou d’embryon pour empêcher le transfert ou la destruction des dossiers médicaux des donneurs. La Cour suprême de Colombie-Britannique a prononcé une injonction en ce sens. À ce jour, la jeune femme n’a toujours pas reçu de réponse.
Des avis qui divergent
En décembre 2009, la Commission de l’éthique, de la science et de la technologie du Québec a remis un rapport sur l’éthique et la procréation assistée au ministère de la Santé et des Services sociaux. Cette commission est rattachée au Conseil de la science et de la technologie dont la mission est de mettre en discussion des questions éthiques, notamment par voie de forum, pour dégager des orientations. Elle était présidée par Édith Deleury, professeure en droit à l’Université Laval et composée pour l’essentiel, de médecins et spécialistes.
Concernant la levée de l’anonymat des donneurs, les experts ont estimé que la connaissance «des informations
Édith Deleury revient sur l’un des points essentiels du rapport: «Nous proposons de procéder par étape, il est préférable de laisser la possibilité aux donneurs de briser l’anonymat concernant leur don, plutôt que de proposer une levée complète de l’anonymat». Le rapport suggère néanmoins de donner les mêmes droits aux enfants issus d’un don qu’à ceux qui ont été adoptés. «Comme les enfants adoptés, l’enfant créé par insémination pourrait avoir la possibilité de connaître le donneur si celui-ci y consent», explique Mme Deleury. Depuis la publication de ce rapport, d’autres travaux ont été publiés.
En juin 2010, une étude américaine intitulée My daddy’s name is donnor a permis de comparer l’expérience et l’opinion d’adultes ayant été conçus par don de sperme à celles de personnes adoptées ou ayant grandi avec leurs parents biologiques. Pour les besoins de l’enquête, 1687 individus ont été interrogés.
Cette étude a été réalisée par Internet pour la Commission sur l’avenir de la condition parentale entre les 10 et 28 juillet 2008. Un groupe d’universitaires et d’experts s’est penché sur «la situation juridique, éthique, sociale et scientifique des parents dans la société contemporaine». 38,5 % des personnes conçues grâce à un don disent ne pas être d’accord avec l’idée qu’on puisse «délibérément concevoir un enfant sans père». De ce nombre, 52 % des hommes et 48 % des femmes estiment même avoir subi un préjudice. Pour 67 % d’entre eux, il faudrait que le don ne soit plus anonyme. Cette fin de l’anonymat est d’ailleurs l’une des dix-neuf recommandations formulées par la Commission sur l’avenir de la condition parentale.
Une annonce choc
La réaction des enfants à l’annonce de leur mode de conception sont variables. Selon Chantal Collard, chercheuse en anthropologie sur l’adoption et la procréation assistée au Québec, «Certains jeunes ont de fortes réactions en apprenant que leur père biologique est un inconnu», constate-t-elle. L’enfant peut se sentir amputé d’une part de lui-même selon Phyllis Creighton, chercheuse sur les questions éthiques, ancienne membre du Comité consultatif sur les techniques de reproduction et de génétique à Toronto.«Le monde est si anonyme qu’on a besoin de connaître son identité. Ces personnes ne cherchent pas un père, mais à connaître d’où leur viennent leurs caractéristiques», soutient-elle.
Pour Shelley Deacon, 30 ans, originaire de Kamloops en Colombie-Britannique, la nouvelle a été fracassante. «Ma mère me l’a dit vers l’âge de 11 ans, ça a été un vrai choc! Malgré tout, c’était peut-être plus facile pour moi que pour d’autres car je n’avais pas de père. J’aimerais savoir qui est le donneur car c’est difficile d’être dans l’ignorance. Une moitié de moi est inconnue. Je n’ai pas choisi, ce n’est pas juste! De plus, je viens d’avoir un enfant. Je suis inquiète par rapport à la méconnaissance de mes antécédents médicaux», confie la jeune femme.
En revanche, la nouvelle de sa conception, n’a pas posé de problème à Olivia Pratten. «J’ai découvert comment j’avais été conçue à l’âge de 5 ans en demandant à ma mère comment l’on faisait les bébés. Elle m’a expliqué que mon papa n’avait pas assez de graines. Je pensais que j’étais unique, j’étais contente», raconte-t-elle.
Plusieurs experts comme Édith Deleury, conseillent aux parents de ne rien cacher à leurs enfants et d’éviter les non-dits. «Il faut encourager les parents à en parler assez tôt. Il ne s’agit pas, pour les enfants, de renier ceux qui les ont élevés. C’est un besoin de savoir d’où l’on vient qui est surtout ressenti à l’adolescence et au moment de devenir parents», estime Édith Deleury.
Un don du ciel?
Beaucoup de personnes issues d’un don souhaitent avant tout la levée de l’anonymat. «Si le donneur y consent, l’enfant pourrait connaître son identité. Dans les pays où ce n’est plus anonyme, les donations ne sont pas moins nombreuses. Il faut surtout une bonne information et une valorisation du donneur. Il ne faudrait pas qu’il soit simplement considéré comme un instrument mais que son geste soit plus responsable», affirme Mme Deleury. Elle souhaite aussi que les donneurs soient informés. Reste à savoir s’ils accepteront.
Pour Joseph, un Montréalais de 26 ans et donneur occasionnel, il n’est pas question de devenir le père de l’enfant. En revanche, il considère que les parents sont libres d’offrir la possibilité aux enfants de le voir. Suzanne Charland, coordinatrice de la banque des donneurs de la clinique Ovo à Montréal pense que l’absence d’anonymat peut nuire au nombre de donations. «Les donneurs sont difficiles à recruter. Pour 200 hommes à qui l’on va parler, un seul va accepter», mentionne-t-elle.
Rechercher son géniteur n’est pas une priorité pour tous les individus conçus par insémination. Certains s’en moquent complètement. «Des jeunes qui pourraient connaître le donneur ne cherchent pas à savoir qui il est, ou activent la recherche plus tard», déclare Chantal Collard.
Donneurs sollicités
Depuis le 5 août 2010, le Québec est le premier gouvernement d’Amérique du Nord à offrir gratuitement des traitements de procréation assistée aux couples infertiles. Les donneurs de sperme risquent d’être encore plus sollicités. Édith Deleury se demande si ce nouveau service est vraiment une nécessité. «Dans le contexte actuel, avec un manque de personnel au niveau des services de santé, on peut se demander s’il s’agit du moment approprié», déclare-t-elle.
Illustration Renart L’Éveillé
Ce billet, ainsi que toutes les archives du magazine Reflet de Société sont publiés pour vous être offert gracieusement. Pour nous permettre de continuer la publication des textes ainsi que notre intervention auprès des jeunes, dans la mesure où vous en êtes capable, nous vous suggérons de faire un don de 25 sous par article que vous lisez et que vous avez apprécié.
Merci de votre soutien.