©Catherine Hédouin
©Catherine Hédouin
Le ciel est d'une obscurité aussi opaque que l'eau. Dans les rues, dès sept heures du soir, les réverbères font de petites lueurs rondes qui ne répandent autour d'elles aucun reflet : d'une couleur chaude, et éparpillées à différentes hauteurs, ce sont, sur les rues vivantes, comme des petites lumières de crèche.Au centre de la ville, dans les calli tièdes de foule, le plaisir de se faire porter coude à coude par un lent flot bruissant dissout l'impatience de ceux qui aiment la marche rapide. Un gros paquet blanc ou un plateau s'avance flottant au-dessus des têtes, accompagné d'une voix de jeune garçon qui crie inlassablement son "Permesso!". La lumière est brève, mais chaude sous la nuit des hautes maisons. Mais si, le pas trop longtemps retenu, l'impatience vous prend, vous pouvez chercher à vous glisser, délicatement, entre les deux courants inverses. Ce n'est pas impossible. Le flot uni se contourne alors en mille visages qu'on effleure, offerts dans la curiosité vers le passant, absorbés dans une confidence chuchotée, ou dans la contemplation d'une vitrine. C'est une foule presque entièrement jeune. Elle se défait sous l'horloge de la Piazza en un léger ballet de rencontres, de groupes formés et dissous, de couples isolés ou encerclés, jusqu'aux deux colonnes de Marco et Todaro où l'on tourne près du clapotis de l'eau.
Liliana Magrini, Carnet Vénitien