Je me souviens d’un monde ou les roses fleurissaient en novembre. C’étaient des fleurs étranges qui gardaient la mémoire de nos amours. Elles étaient belles dans leur ardente robe rouge et avaient en elles-mêmes une grâce et une splendeur incomparables.
Quand il avait plu, elles semblaient fort fragiles, avec une goute d’eau qui parfois glissait le long de leurs pétales avant d’aller s’écraser dans la boue du chemin. Mais elles, sur leur branche, paraissaient attendre les jours d’un printemps improbable qu’elles ne verraient jamais.
Parfois, j’effeuillais d’un doigt délicat leurs pétales tendres, qui s’ouvraient sans résistance, laissant voir un instant les souvenirs enfermés là, au cœur des ténèbres.
Puis, quand venait décembre, un manteau de neige recouvrait soudain les roses. Immobiles, figées dans l’instant, elles semblaient n’exister qu’en rêve, comme si elles nous avaient déjà quittés.
De temps en temps, une mésange venait se poser sur une branche et, sous l’offense, celle-ci ployait légèrement. D’un bec rageur, l’oiseau effronté picorait alors le givre qui recouvrait la rose, la meurtrissant dans son rêve éternel.
Plus tard, bien plus tard, quand venait le printemps, la reine des fleurs, desséchée et flétrie, pendait lamentablement. Ballotée au gré des vents de mars, elle finissait par tomber sur le sol humide, où elle disparaissait bientôt sous des pas anonymes.
Il ne restait plus rien alors de la rose, rien qu’un parfum évanoui au plus profond de notre mémoire, rien qu’un souvenir oublié de nos amours adolescentes.