La droite s'inquiète. Marine Le Pen chasse avec plaisir et efficacité sur ses terres. Les sondages se multiplient, et
stressent à répétition. Officiellement, on n'ose pas incriminer l'échec de Sarkozy : contre la lutte contre la délinquance, le bilan de Sarkozy est mauvais, et depuis 2007. Il a fallu attendre
2009-2010 pour le réaliser. Et l'image d'une Présidence des Riches, habile à défendre ses privilèges et le pantouflage, n'arrange rien. Samedi, Jean-François Copé promettait un retour aux
fondamentaux aux cadres du parti réunis en Conseil national. Dimanche, François Baroin promettait un Etat exemplaire et une chasse à la fraude efficace. Un double exercice médiatique largement
insuffisant.
Les valeurs de Copé
Ce fut la couverture du JDD ce weekend. A l'UMP, on observe la poussée du Front National, et,
surtout, de Marine Le Pen dans tous les sondages d'opinion. La fille de Jean-Marie attire. Des élus UMP craignent déjà pour les prochaines élections cantonales de mars 2011. En 2012, le
scenario-catastrophe d'un 21 avril à l'envers se propage dans les esprits. Les réponses proposées pour contrer le FN sont habituelles : des élus UMP regrettent que le discours sécuritaire et
anti-immigration de l'été dernier ait été aussi rapidement remisé au placard. « Je constate sur le terrain une très forte montée de l’intolérance à l’immigration. Les gens pensaient qu’on
maîtriserait les flux, ils ont été déçus. Ce problème est ravageur dans l’opinion publique » expliquait le député UMP Alain Gest au JDD dimanche dernier. Le député-maire du Raincy, îlot bourgeois en
Seine-Saint-Denis s'inquiète : « Sur les marchés, j’entends contre l’UMP des choses que je n’avais pas entendues depuis longtemps : voleurs, etc. Les gens ne parlent plus du FN, ils parlent
de Marine. On va dérouiller aux cantonales de mars. Nous avons été godillots. Il est temps de retourner sur le terrain.» Certains élus UMP sont plein d'idées pour « faire du FN sans le
FN » : on suggère ainsi de retirer la nationalité « aux naturalisés en cas de peine de prison ferme supérieure à trois mois» (Damien Meslot), ou d'expulser les délinquants sur
le modèle suisse (Alain Gest).
A l'UMP,
Jean-François Copé promet un « retour aux valeurs ». Le nouveau secrétaire général de l'UMP désigné par Nicolas Sarkozy lors du remaniement gouvernemental veut montrer qu'il a conscience
du danger. Sur le fond, il tend des perches : « Le FN
monte quand les gens expriment des inquiétudes et qu'ils ont le sentiment que sur les fondamentaux, on doit en faire plus (...) Revenir aux fondamentaux, c'est montrer qu'on est déterminé sur les
grands principes de la République, comme la sécurité et l'immigration (...) et qu'on doit faire les grandes réformes vitales pour le pays ». Sur la forme, il montre qu'il écoute. Lors de son
premier « conseil national » samedi 11 décembre, il a innové : les cadres du parti avaient le droit de poser des questions aux dirigeants UMPistes. Copé appelle cela du « management
participatif. » La tartuferie est amusante : la direction du parti est désignée par l'Elysée, le programme de 2012 sera établi par des experts d'opinion, mais les «
militants » ont désormais le droit de poser des questions ... en 2 minutes par personne pas plus.
En, fait, le camp sarkozyste réalise un peu tard le double échec de son Monarque. Et on appelle cela une gueule de
bois.
L'échec sécuritaire de Nicolas
Sarkozy est désormais connu. En 2007, le candidat et ministre de l'intérieur avait pu faire illusion : la baisse générale de la délinquance depuis 2002 était portée à son crédit. On sait,
depuis, que cette réduction des actes de délinquance ne concernait que les atteintes aux biens (3 millions d'actes en 2002 ; 2,2 millions à fin juin 2010), et que, pour partie, elle est générale
dans tous les pays grâce aux progrès technologiques (dispositifs anti-vols notamment). Les violences aux personnes, elles, ne cessent de franchir des records : à fin octobre, elles avaient encore
progressé de 5 800 sur 12 mois, pour atteindre 462 350. En 2004, on ne dénombrait que 391 857 actes de violences aux personnes. Sarkozy a usé et abusé de chaque fait divers, qu'il
incarnait aussitôt par une loi ou un décret (anti-bandes, anti-cagoules, rétention à vie, peines plancher, etc). Cette boulimie réglementaire, contradictoire avec la politique de réduction des
effectifs des forces de l'ordre, n'a servi à rien sauf à encombrer le discours et les repères. Dans son dernier bilan de la délinquance, l'ONDRP avouait par exemple son incapacité à mesurer
correctement le phénomène des bandes, tout en livrant des chiffres ridicules ( 341 affrontements entre bandes depuis janvier 2010, contre 292 sur la même période de l'an passé !). On attend les
statistiques sur les infractions au port de la cagoule... « Depuis 2002, je suis en première ligne dans la lutte contre l'insécurité » avait déclaré Sarkozy dans son discours de
Grenoble, le 30 juillet dernier. Il est temps de régler l'addition.
Nicolas Sarkozy paye aussi, à droite comme à gauche, le prix de sa gestion monarchique : pantouflages des uns, conflits
d'intérêt des autres, la République des Riches a fait autant de dégâts dans le pays qu'auprès de l'électorat « populaire » chéri par Sarkozy en 2007. Pour faire social-conservateur,
Nicolas Sarkozy mise beaucoup sur ses réformes de la dépendance, un sujet qui inquiète les plus âgés, et de la fiscalité du patrimoine. C'est là qu'intervient François Baroin.
La rigueur de Baroin
François Baroin, ministre du Budget, est le second joker de Sarkozy. Dans un entretien à l'hebdomadaire du dimanche, il a
repris les formules de Nicolas Sarkozy de l'été dernier : la réduction du nombre de véhicules de fonction et des dépenses de fonctionnement concernera les opérateurs de l'Etat, soit environ 500 entreprises para-publiques. On
cherche le symbole de l'Etat exemplaire.
Baroin a surtout repris, ce dimanche, l'antienne de son prédécesseur Eric Woerth, la chasse à la fraude fiscale et sociale.
Il s'est félicité que ses services aient pu rapatrier quelques 7 milliards d'euros de capitaux évadés et récolter un milliard d’euros de droits et de pénalités. Faites vous-même ce calcul
grossier : 1 milliard prélevés, sur 7 milliards de capitaux évadés rapatriés... cela donne un taux d'imposition (pénalités comprises !) de ... 14%. On savait, depuis avril, que les services du fisc avaient reçu des instructions de clémence hors normes pour traiter ces évadés
repentis... Sur la fameuse liste de 3000 évadés fiscaux brandie au cours de l'été 2009
par Eric Woerth, « plus d'un millier de contrôles sont engagés.» Et pourquoi seulement un millier sur les 3000 fraudeurs identifiés ? On ne sait pas.
Mardi 14 décembre, Baroin réunit le comité national de lutte contre la fraude. Ce comité à vocation médiatique a été créé en
octobre 2007 par Nicolas Sarkozy, pour regrouper les différents ministres concernés par la chasse à la fraude. A l'époque,
la lettre de mission, signée le 14 octobre de cette première année de mandature, était très explicite quant aux objectifs : le gouvernement de Sarkofrance visait moins les évadés fiscaux,
souvent jolis contributeurs du Premier Cercle de l'UMP comme l'a révélé l'affaire Woerth/Bettencourt, que la fraude dite sociale, c'est-à-dire le travail clandestin et l'arnaque
aux aides et subventions publiques et sociales: « Nous devons agir, en premier lieu, dans le champ de la fraude aux prélèvements obligatoires, qui recouvre toutes les formes de fraude
fiscale et sociale, notamment le travail non déclaré.» écrivait Sarkozy. « Les Français nous attendent particulièrement, en second lieu, sur la lutte contre
la fraude aux nombreux régimes d'aides publiques ou de prestations sociales que compte notre pays, notamment l'assurance-chômage, l'assurance-maladie, les prestations
familiales ou de vieillesse, l'aide au logement, les minima sociaux, mais aussi les régimes de subvention aux entreprises ou à l'agriculture. » A cette fin, une Délégation nationale à la
lutte contre la fraude (DNLF) avait été installée. Son premier rapport d'exercice, au titre de 2009, n'est pas fameux. Les données chiffrées sont
rares, les résultats inexistants : une réunion de 600 contrôleurs de diverses administrations le 5 mai 2009 ; 7 400 heures de formation attribuées aux agents concernés; beaucoup de circulaires
nouvelles, création de comités locaux de lutte contre la fraude, « intensification » des échanges d'informations entre les administrations...
Il faut se rappeler le rapport de
la Cour des Comptes, de juillet 2010, sur le contrôle fiscal, pour mesurer la vacuité médiatique des propos de François Baroin : la Cour pointait la stabilité de la collecte de droits et de
pénalités (à 16 milliards d'euros par an), le trop faible recouvrement des sommes dues, les très faibles moyens consacrés à l'évasion fiscale à l'étranger et à l'ISF. On imagine que si François
Baroin, ce dimanche, avait des évolutions notables à communiquer, il l'aurait fait. Et bien non, il a préféré recycler des informations pour l'essentiel déjà évoquées par son prédécesseur.
En janvier dernier, on savait déjà qu'un millier de contrôles fiscaux étaient engagés sur
la liste des 3000. On savait aussi qu'environ 700 millions d'euros d'impôts, hors pénalités, avaient été récupérés en 2009; et que les avoirs rapatriés se chiffraient déjà à 6 milliards d'euros.
Avec Copé pour renouer avec les valeurs de la droite à l'UMP, et Baroin pour défendre l'Etat exemplaire au gouvernement,
Sarkozy peut dormir sur ses deux oreilles.
Sarkofrance
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