Qu'il ne s'agisse pas du meilleur film de Tavernier, c'est un fait. Mais entre tutoyer le sommet de sa filmographie et patauger dans sa fange, il y a un juste milieu que le réalisateur dépasse allègrement.
Adapté d'une très courte nouvelle de Madame de La Fayette, La princesse de Montpensier constitue un délicieux (et au final terrible) marivaudage en costumes, dans lequel les dialogues, brillamment écrits par Jean Cosmos, fidèle de Tavernier (La fille de d'Artagnan, Capitaine Conan, Laissez-passer), sont un réel plaisir à écouter, la richesse de la langue et l'attention apportée à la syntaxe constituant une véritable musique des mots, rappelant au passage l'infinie richesse de la langue française et son potentiel cinématographique.
Jeune femme mariée de force à un homme qu'elle n'aime pas, (touchant Grégoire Leprince-Ringuet), la princesse de Montpensier (fraîche et totalement impliquée Mélanie Thierry), nourrit une passion amoureuse pour Henri de Guise (embarrassant Gaspard Ulliel), tout en étant convoitée par le duc d'Anjou (impeccable Raphaël Personnaz) et secrétement aimée du comte de Chabannes (parfait Lambert Wilson). Ce résumé de l'intrigue, parfaitement restranscrite par l'affiche du film, fera vraisemblablement fuir à grandes enjambées les spectateurs avides de cinéma rapide, consommable, "kleenexable", pour qui un tel scénario ne peut, forcément, qu'être poussiéreux et indigne d'intérêt.
Qu'ils fuient donc, et que grâce soit rendue à Bertrand Tavernier d'avoir réalisé un film loin de toute mode, aux canons que certains jugeraient dépassés, qui prend le temps de raconter son histoire, sans jamais céder aux diktats de ce qu'une mise en scène dite "moderne" pourrait exiger (voir pour s'en convaincre les scènes de combat, jamais "shaky camées", mais au contraire d'une stabilité et d'une efficacité totales). Tavernier a voulu réaliser un film organique, pas numérique (selon les propres dires du metteur en scène), et le résultat possède à ce titre (paradoxalement) une fraîcheur que l'on ne rencontre plus guère dans le cinéma actuel. Certes, le cinéma est l'art de l'illusion et l'on ne peut à ce titre sérieusement condamner le recours aux effets de synthèse. Mais qu'il est bon d'assister à des séquences d'action fabriquées à l'ancienne, à des plans durant davantage qu'une seconde et demi, et de constater que des producteurs misent encore de l'argent dans des films façonnés de manière totalement artisanale.
Il est donc affaire de marivaudage dans La princesse de Montpensier, de jeu de la séduction, de rapaces et de proie. Le propos, universel et éternel, se double d'un très joli portrait de femme. Le personnage incarné par Mélanie Thierry représente en effet une figure pré-féministe, personnalité affirmée et audacieuse qui cherchera à s'émanciper ici par le biais de l'apprentissage de l'écriture, là par le port altier qu'elle arbore en toute circonstance. Féminisme naissant donc, mais Tavernier ne le traite jamais de manière excessive, évitant de ce fait de faire tomber l'aspect féministe de son film dans l'extrémisme le plus regrettable.
Par ailleurs, Tavernier aime inscrire la petite histoire dans la grande, en développant son scénario dans le cadre de l'affrontement entre les Catholiques et les Huguenots (protestants) en cette seconde moitié de 16ème siècle. Les combats et les morts se mêlent ainsi aux amours et aux passions, la Saint-Barthélémy causera la mort de l'un des personnages principaux, et les multiples campagnes guerrières ponctueront indirectement la vie de la jeune princesse.
En revanche, l'on pourra reprocher à Bertrand Tavernier des relâchements dans la mise en scène (certaines séquences de dialogues auraient mérité plus de texture et de tenue visuelle), et une direction d'acteurs pas toujours maîtrisée (Gaspard Ulliel, notamment, dont la grosse tête se perçoit même dans les films...). Des carences, donc, mais qui n'entament en rien le plaisir d'assister à un vrai film d'artisan amoureux fou de son art. Plongé au milieu de ce 16ème siècle, baignant dans les étoffes, chevauchant à travers plaines, bois et prairies, parcourant les méandres des châteaux, le spectateur est entraîné dans un ballet ou le romanesque le dispute au romantique, jusqu'à une simple mais saisissante image finale dans la neige, laissant éclater en sourdine le drame qui achèvera l'histoire.