Dans le numéro 20 de la revue Dans La Lune, dirigée par Valérie Rouzeau, et tout juste parue, on peut lire plusieurs poèmes de Jean Miniac.
Le thon
Un jour, je m’en souviens,
Un vieux voisin m’avait arrêté dans un chemin creux (on entendait la mer au loin)
Et dit : « Alors, toujours dans tes poésies ? »
D’un air d’aimable mépris. Je n’ai rien répondu. Les vagues n’avaient pas encore lavé le corps de son fils
Qu’il allait tuer de cette façon.
C’est vertigineux, la vie. On aime et armé de ce blanc-seing,
On pousse un enfant au suicide.
Je suppose que Louis aurait survécu s’il avait eu d’autres parents.
Il s’est pendu une matinée de septembre comme celle-là,
Ou peut-être un soir de novembre, quand tout est si lourd à porter – après tout, qu’importe ? Il s’est pendu –
Sa longe pour une fois a tenu, lui qui n’en supportait aucune.
Un soir je l’ai rencontré, sur cette petite route sortant du port ; un thon était suspendu au guidon de son vélo ; il pédalait nonchalamment ;
Oh, mon Dieu, comme les âmes sont difficiles à ressaisir
Lorsqu’elles tournent depuis si longtemps dans ton orbe ! La lumière du soir nous gagnait
Lentement. Nous mangeâmes paisiblement
Le thon
Dont il avait fait griller des tranches sur un barbecue improvisé
Loin de la mer
Mais si près d’elle, en même temps ;
Je crois qu’il me raccompagna par ce même chemin creux
De calamiteuse mémoire ;
Il m’a demandé si j’écrivais toujours des poèmes. J’ai dit oui.
Jean Miniac, in Dans la Lune (Revue de poésie destinée aux enfants de 5, six, sept à cent, 117 ans, garantie 100 % décarêmélisée), n° 20, novembre 2010, Centre de Création pour l’Enfance (Tinqueux), p. 12
Bio-bibliographie de Jean Miniac
S’abonner à Poezibao
Une de Poezibao
Index de Poezibao