Écrit par Le Jour
Lundi, 13 Décembre 2010 12:05
àèééà
Bamenda : Première rencontre entre Fru Ndi et Paul Biya
Le 10 décembre dernier, le leader du principal parti politique d'opposition au Cameroun et le chef de l'Etat ont parlé d'Elecam.
Ce n'est pas tous les jours que l'on voit Ni John Fru Ndi, le chairman du Sdf, en costume et cravate. C'est pourtant la tenue qu'à choisie le leader du principal parti politique d'opposition du Cameroun,
pour sa rencontre du 10 décembre à Bamenda, avec le chef de l'Etat. Sur invitation de Paul Biya, John Fru Ndi s'est rendu à la résidence présidentielle située au quartier Up-station à Bamenda, à la tête d'une délégation de 12 personnes : des députés et des membres du Shadow cabinet, le gouvernement fantôme du Sdf.
A la fin du tête-à-tête de 35 minutes, John Fru Ndi a expliqué en anglais que c'est la première fois qu'il rencontre Paul Biya. « Le mutisme politique est rompu. C'est une nouvelle étape dans nos relations. Je suis heureux d'avoir été reçu par le président de la République, mais ça ne change rien pour moi, je continue ma vie comme avant. Bamenda nous a donné l'opportunité de nous rencontrer », a-t-il dit. Fru Ndi a ensuite expliqué que « Si nous avons mis autant de temps avant de nous voir, c'est parce que plusieurs personnes ont envenimé nos relations ». Parmi les sujets de discussion du 10 décembre, « nous avons parlé d'Elecam. A cause des contraintes de temps, nous n'avons pas pu discuter plus longtemps. Mais, maintenant que les choses sont claires, nous continuerons nos discussions une autre fois. Le dialogue a commencé», a déclaré Fru Ndi.
Parlant d'Elecam, John Fru Ndi dit avoir expliqué au chef de l'Etat pourquoi il estime qu'Elecam, dans sa forme actuelle, ne peut satisfaire aux exigences d'une élection claire et transparente. Il dit être revenu sur les conditions minimales, selon le Sdf, pour l'organisation des élections acceptables au Cameroun. Il s'agit de 11 points répertoriés par le Sdf, plusieurs fois expliqués aux journalistes et consignés dans un document. Ce document a d'ailleurs été remis au chef de l'Etat à la fin de la rencontre.
Dans une interview accordée au Jour le 7 décembre à Bamenda, John Fru Ndi avait, une fois de plus, souhaité la mise sur pied de « cartes d'électeurs biométriques pour sécuriser les inscriptions et le vote des Camerounais ». A la question de savoir s'il encourage ou non les électeurs à s'inscrire sur les listes électorales, Fru Ndi a répondu « Si les Camerounais ne s'inscrivent pas sur les listes électorales, ce n'est pas parce que Fru Ndi a dit de ne pas s'inscrire. C'est parce qu'ils savent que ce qu'Elecam fait est faux. Les chiffres annoncés sur le terrain sont falsifiés ».
A la fin du tête-à-tête entre Paul Biya et Fru Ndi, les autres membres de la délégation, à l'exemple d'Elisabeth Tamanjong, le Sg du parti ou encore Simon Fobi, le vice-président de la commission des Finances et du budget de l'Assemblée nationale, ont été présentés au chef de l'Etat.
Anne Mireille Nzouankeu
La délégation conduite par John Fru Ndi
- John Fru Ndi
- Banadzem Joseph Lukong
- Awudu Mbaya Cyprian
- Joseph Mbah Ndam
- Simon Fobi Nchanji
- Ngodja,
- P.C. Fonso
- Elisabeth Tamanjong
- Mathias Ofon
- Banega Simon Tchigam,
- Sama Francis
- Benjamin Fru
Alain Fogué : « C'est une démarche politique normale »
Le politologue donne son point de vue sur la rencontre entre Paul Biya et Fru Ndi.
Paul Biya a rencontré le leader de l'opposition à Bamenda la semaine dernière. Quel est votre sentiment ?
C'est dommage que cette rencontre n'intervienne que vingt ans après. Pour un pays normal, les échangent entre l'opposition et le parti au pouvoir relèvent d'une activité politique normale. Mais il faut dire que mieux vaut tard que jamais. Tout en espérant que de telles activités pourront se multiplier.
Que peut-on espérer d'une telle rencontre ?
On doit espérer qu'il y ait eu des échanges sérieux entre les deux hommes. Il me semble normal qu'une telle démarche devrait parvenir à débloquer un certain nombre de points de vue. Ce qui ne signifie pas qu'il y' ait eu une compromission de Fru Ndi à l'égard du pouvoir central, comme certains n'hésitent pas à le signifier. C'est une démarche politique normale qui a cours dans toutes les démocraties qui fonctionnent normalement.
Est – ce que vous avez une idée des sujets qui ont été abordés par les deux hommes ?
C'est difficile. Cependant, compte tenu de l'agenda politique, je pense qu'ils ont largement évoqué la question d'Elections Cameroon (Elecam).
De telles rencontres peuvent-elles être bénéfiques pour la démocratie ?
Ce sera bénéfique si du côté du pouvoir on estime que ce n'est pas une mansuétude que de recevoir le leader de l'opposition politique au Cameroun. Dès lors, on peut espérer que c'est l'amorce d'un véritable fonctionnement politique. Cependant, si les acteurs politiques à Yaoundé, et c'est important de le souligner estiment que c'est de la mansuétude, on risque de ne rien avoir.
Boris Bertolt
Ce que Biya a dit d'une rencontre avec John Fru Ndi
«Je n'ai aucune espèce de mépris contre qui que ce soit»
Question de Jean-Paul Tchakoté, président de la section du Front Social Démocrate (Sdf) de France
(...) Monsieur le Président, admettez-vous l'idée d'un dialogue national basé sur une réconciliation véritable avec le retour de la dépouille du Président Ahidjo, un dialogue avec vos opposants y compris monsieur John Fru Ndi que vous n'avez toujours pas rencontré en 17 années de multipartisme ? »
Ulysse Gosset
C'est la question fondamentale du dialogue entre un Président et son opposition. Est-ce que c'est possible au Cameroun ?
Paul Biya
(...) nous sommes pour le dialogue. Je prends les élections du 22 juillet dernier, les élections législatives et municipales. Nous les avons gagnées. Nous avons gagné 140 députés contre 13 pendant les partielles. Nous pouvions occuper tous les postes. Qu'est-ce que nous avons fait ? Nous avons ouvert un dialogue avec les partis politiques pour leur dire « Il faut partager, nous vous demandons de vous associer à nous dans la gestion du parti. » On l'a fait à l'Assemblée nationale. Le bureau de l'Assemblée nationale comprend les membres de mon parti mais aussi les membres des partis de l'opposition. Les commissions à l'Assemblée, le poste de vice-président, on s'est réparti cela. Après, le dialogue est difficile avec une opposition qui, malgré sa défaite, demande à présider l'Assemblée nationale, vous vous rendez compte ? Ils ont fini par accepter la vice-présidence. Il a cité le cas du leader de l'opposition, Monsieur Fru Ndi. C'est vrai qu'on ne s'est pas rencontrés et il ne me démentira pas : on avait pris rendez-vous pour discuter et il a choisi le village, mon village, qui n'est pas très loin de Yaoundé. J'étais d'accord mais au dernier moment c'est lui qui n'est pas venu. Nous dialoguons avec les leaders de l'opposition, je m'inscris en faux contre cette remarque.
Ulysse Gosset
Donc vous seriez d'accord pour le revoir ?
Paul Biya
Mais je suis prêt à le rencontrer, je n'ai pas de problèmes, nous avons encore un Sénat à élire, nous avons des assemblées régionales à élire, nous voulons qu'il y ait de la monnaie dans la gestion des affaires de l'Etat. Mais je n'ai aucune espèce de mépris contre qui que ce soit, une bonne partie des membres de mon gouvernement viennent de l'opposition.
Ulysse Gosset
Donc vous êtes comme Nicolas Sarkozy, en France... ?
Paul Biya
Voilà ! Et les membres de mon parti sont un peu réticents mais je leur dis qu'il faut partager.
Ulysse Gosset
Donc le Cameroun est en train de changer, c'est ça votre message ?
Paul Biya
Le Cameroun est en train de changer, je le fais depuis même avant ces élections, nous étions majoritaires mais j'ai donné des portefeuilles aux partis de l'opposition. Il en est de même pour les fonctions à l'assemblée nationale, je n'ai fait que reconduire une politique d'ouverture qui est ancienne et qui est, je crois, utile dans nos pays jeunes comme le nôtre, pour faire en sorte que la loi de participation à la gestion de la chose publique soit forte. J'ai cru comprendre qu'il y avait un problème pour ce qui est de l'ancien président.
Ce que Fru Ndi a dit de Paul Biya
«Si monsieur Biya m'invite pour une audience, je lui donnerai un message»
Qu'est-ce que vous attendez de monsieur Biya à l'occasion de cette célébration du cinquantenaire des forces armées qui l'amène à visiter Bamenda?
Je l'ai déjà dit plusieurs fois. Je n'attends rien de monsieur Biya pour les raisons suivantes. La dernière fois que monsieur Biya est venu ici, cela remonte à 22 ans. Quand il est venu ici, on a fait de lui le fon des fons jusqu'à l'habiller. Je ne l'ai jamais vu avec cet habit nulle part. Il avait déclaré que Bamenda c'est sa deuxième maison. Chaque année il va en Europe 7 à 8 fois. Et quand il y va, il passe plus d'un mois. Quand il vient à Bamenda juste pour passer une nuit, c'est la psychose totale dans la ville. Comme si c'est un chef d'Etat étranger qui venait. Troisièmement, pendant cette occasion, il avait déclaré que Bamenda est sa deuxième maison et promis qu'il devait personnellement superviser la construction de la Ring Road. S'il va venir 22 ans après promettre une fois de plus aux populations de Bamenda la Ring Road, va-t-il encore vivre pendant 22 ans, je ne suis pas Dieu. Qu'on le laisse venir dire aux populations s'il va encore donner la Ring Road ou l'université. Comme je l'ai dit avant, il peut tranquillement partir et surprendre les populations du Nord-Ouest avec la construction de cette route. Quand il avait nommé monsieur Simon Achidi Achu Premier ministre, il avait apporté ici des banderoles avec la mention Ring Road parce que les élections approchaient. Après les élections, tout cela a disparu. Vous ne pouvez pas partir facilement de Ndop à Babessi, Babessi à Nsoh ou Nsoh – Nkambe. Qu'est-ce qu'il vient encore promettre au peuple.
Est-ce que vous avez sollicité une rencontre avec le président Biya pendant son séjour à Bamenda ?
Je n'ai pas négocié une autre audience. J'avais écrit à monsieur Biya avant pour lui dire que je veux le rencontrer pour qu'on discute des problèmes du Cameroun. Il ne m'a jamais répondu. C'était quand j'ai vu les tensions qui ont éclatées en 2008. J'ai encore écrit depuis juillet 2010, quand j'ai appris qu'il venait à Bamenda, pour lui demander la suite réservée à cette lettre. Même s'il n'a pas répondu à ma lettre d'audience, je l'invite chez moi pour un dîner. S'il vient c'est bien ; s'il me reçoit, c'est encore bien. S'il ne me reçoit pas, ça fera une vingtaine d'années que nous ne nous sommes jamais rencontrés face à face. Si nous nous voyons demain (ce mercredi, Ndlr), ce sera la première fois qu'on se voit après plus de vingt ans. Avant d'être journaliste vous êtes d'abord des Camerounais. Si je vois monsieur Biya demain, ce sera pour la première fois. Ce qui veut dire que vous avez quelqu'un qui bloque le dialogue, il ne parle pas à la vraie opposition. Quand vous êtes dans l'opposition il vous amène au gouvernement. Quand vous voyez les membres de l'opposition qui travaillent avec le gouvernement et veulent le supporter aux élections, ils prennent les écharpes du Rdpc et portent à leur cou, sous les couleurs de leur propre parti en disant je suis de ce parti mais je supporte monsieur Biya. Quand vous portez l'écharpe du Rdpc pour parler de monsieur Biya, cela veut dire que vous n'êtes plus de votre propre parti.
Quel message avez-vous préparé pour celui qui depuis plus de vingt ans est votre principal adversaire politique ?
Si monsieur Biya m'invite pour une audience, je lui donnerai un message. Et quand je l'aurai fait, je le communiquerai à la presse.
Mise à jour le Lundi, 13 Décembre 2010 12:28