Certains d'entre vous se souviennent peut être la joie toute simple de lire John Fante au sortir d'une adolescence hasardeuse. John Fante, un gars réac & décontracté qui écrivait des histoires de gars réacs & décontractés. C'était bien. Aujourd'hui encore, contre l'avis de pas mal de mes amis du FFC, j'ai une affection sans borne pour de jolies tartelettes comme Demande à la poussière, Rêves de Bunker Hill & quelques nouvelles de catholique frustré. Parce qu'en y repensant cinq minutes John Fante c'est largement meilleur que Bukowski par exemple. Disons qu'il a plus de choses à dire & qu'il les dit mieux. C'est plus subtil que Crumley aussi, mais peut être un peu moins marrant (le premier chapitre du Dernier Baiser, encore une perle délaissée par 10/18...). Fante c'est un peu Richard Hugo sans l'humanisme naïf & les sapins mais avec des morceaux de mauvaise foi dedans. C'est surtout l'alternative historique & jouissive à toute une frange célébrée de la littérature américaine que l'on dit du Montana, ces gros moustachus qui pêchent, boivent toute la journée & qui n'ont plus rien à nous dire depuis longtemps... Malgré tout il faut savoir que ces types ont eu, pour la plupart, une espèce d'influence sur deux trois morveux européens en quête de modèles lorsque était venu le temps d'écrire leur grand roman, un de ces fameux romans avec des couilles grosses comme le Texas. Je me souviens parfaitement avoir tenté un truc du genre, la vie de Jésus dans une famille de mafieux excentriques, réécriture jazzy du Nouveau Testament les fesses bien bombées & le gosier alcoolique. C'était à se pendre bien sûr. Les cubains aussi ont eu droit à leur Bukowski sodomite. Mais après un premier livre honnête (sans doute noté C- sur l'échelle de Nabokov), Pedro Juan Gutiérrez aurait dû se laisser pousser les cheveux & attendre que ça passe. Les Italiens, puisque c'est quand même de cela que je voulais vous entretenir, les Italiens donc, dans le grand marasme culturel & politique qu'ils traversent sans cesse depuis que Dante leur a dit que ça serait comme ça & pas autrement, ont cherché plusieurs fois à se sortir des griffes du grand méchant réalismo-tutti-quanti-polar-sicilien qui leur rogne les doigts. Hum... il y a bien eu une tentative dans le genre roman rock'n'burnes ranafoutre en 2006, ça s'appelait Le Pays des Merveilles de Giuseppe Culicchia... pfff c'était pas mal, c'était pas non plus génial... c'était bof bof en fait. Sans doute y a t'il eu d'autre trucs ici ou là mais ça n'est pas arrivé jusqu'à moi. Depuis plus rien, ou presque... Jusqu'à ce que les jeunes & dynamiques éditions de la Dernière Goutte de Strasbourg publient un petit livre tout mignon d'un certain Mario Rocchi (prononcez « roqui »). Ça s'appelle Casa Balboa & ça n'est pas une histoire de boxeur sur le retour.
Casa Balboa, voilà un roman qui porte son titre comme un programme car on y entre comme dans le foyer d'un famille turbulente de Lucques, petite ville de Toscane, métaphore romanesque de l'Italie. Incarnation burlesque du monde. Mon grand-père, qui avait du sang napolitain presque frais dans les veines, disait toujours qu'un Italien était soit un fieffé catholique soit un sale communiste di merda & là on parle d'une époque où le PC italien ne s'appelait pas encore le PD. Le gène Don Camillo vs Peppone j'imagine. Étrangement, notre Rocchi/Balboa n'est ni l'un ni l'autre. Il est bien plus proche du Bandini de Fante, archétype braillard bien connu, sorte d 'écrivain/journaliste, patriarche & mari désabusé, anarchiste par provocation intellectuelle, looser formidable, il incarne le citoyen concerné, offusqué par le monde tel qu'il tourne mais qui ne fait pas grand chose pour le changer si ce n'est râler un bon coup & forniquer avec la voisine. Balboa c'est sans doute un peu Rocchi & vice versa. C'est aussi le rejeton dilué de l'esprit critique de Pier Paolo Pasolini & qui perdure chez beaucoup d'acteurs du monde culturel italien qui n'ont de cesse de se frotter à la vie publique de leur pays. On voit dans le livre de Rocchi ces élans d'introspection lucides, parfois sévères, que l'on retrouve, au pif, chez des cinéastes comme Moretti (Journal Intime, Palomba Rossa, April), Bellocchio (Vincere, Buongiorno, notte) ou encore Sorrentino (Il Divo). Ici les attaques de front face à la société italienne (en particulier) ne sont pas moins violentes ou de mauvaise foi mais elles sont enrobées d'une certaine affection incontrôlable donnant au propos du livre un aspect bonhomme. Au final, on aime ses enfants malgré toutes les bêtises qu'ils peuvent faire & le parallèle entre les deux figures du foyer (la famille, le pays) fonctionne sans encombre. Coincée entre les deux la petite ville de Lucques apparaît comme une transfiguration microscopique du monde qui cristallise tous les maux de l'humanité. Rocchi/Balboa profite de ses loooongues promenades avec son chien adoré (le seul membre de la famille qui l'aime vraiment) jalonnées de pauses pizza & de quelques plans drague à deux balles pour parler de tout ce qui ne va pas. La liste est longue. C'est assez marrant & plutôt juste, mais dans la durée c'est aussi très attendu, démago à fond les ballons & souvent longuet sur les bords. Dans cette ode à la parlotte, ce gigantesque billet d'humeur qui aurait pu être publié dans le supplément du dimanche de La Nazione, s'étend tout ce qu'un cerveau bien-pensant peut produire comme truismes : le pape est anachronique, Bush est un con sans cervelle, la jeunesse ne respecte plus rien, la mafia c'est que des méchants, les hommes politiques sont des incapables, la presse italienne a perdu toute légitimité & tout ça sur 300 pages... ça fait beaucoup.
Sans prendre trop de risque on peu dire que Mon chien stupide a toujours été le plus dispensable de tous les livres de Fante. Mais c'est aussi le plus connu. La lecture de Casa Balboa ne restera qu'un instant. Le tout est de savoir si Mario Rocchi aura autre chose à nous raconter.