Si on cherche à résumer le propos on dira que c'est un témoignage sur la réalité quotidienne des bonnes (noires) chez les familles (blanches) qui les emploient dans l'Amérique des années 60, alors que Rosa Park lance un mouvement de résistance contre les lois ségrégationnistes et que Martin Luther King fait le rêve qui pour lui personnellement tourne au cauchemar.
Mais c'est bien plus que cela. Le vrai sujet, à mon sens, est l'analyse des rapports de force entre des personnes que la société sépare et que la fraternité rassemble, à force de résistance et de courage, où l'amitié est le carburant qui fait triompher les valeurs humaines.
On connait tous l'évolution de la société américaine. On devine comment les faits vont s'enchainer. Ce n'est pas le propos du livre de nous faire revivre l'Histoire mais plus simplement une histoire. L'auteur réussit formidablement à entretenir notre intérêt. On a du mal à réaliser que c'est son premier ouvrage. Il faut croire qu'elle l'a conçu avec ses propres souvenirs. Le roman se lit comme un thriller avec des retournements de situation toutes les vingt pages. Il est trop gros pour être lu sans faire de pause et croyez-moi c'est un vrai effort que de glisser le marque-page et de l'abandonner quelques heures.
Tout commence par une question anodine posée par la "dame blanche", Miss Skeeter, à Aibileen : Vous n'avez jamais envie de ... changer les choses ? Aibileen répond par la négative. Pourtant elle a remarqué que lorsqu'elle inscrivait le nom de quelqu'un sur sa liste de prières son vœu se concrétisait. Mais changer Jackson, Mississipi, c'est pas aussi simple que changer une ampoule.(p.34). Se parler à cœur ouvert est inconcevable entre personnes qui ne sont pas du même rang social.
C'est vraiment bizarre ce qui se passe ici parce que personne parle et on arrive quand même à avoir une conversation. (p.41)
Suit Minny, l'amie fidèle d'Aibileen, qui s'interroge sur l'opportunité et le danger de dire la vérité : ce mot là me rafraichit comme de l'eau qui coulerait sur mon corps tout collant de sueur. Qui refroidirait la chaleur qui m'a brûlée toute ma vie. (p.158) Il faut avoir connu les États du Sud en pleine canicule pour saisir la métaphore. Dans un de mes premiers billets j'écrivais que l'enfer est sans doute plus frais qu'une nuit tropicale new-orléanaise.
Bob Dylan chante Times they are a changing. Les protagonistes passent sept mois à attendre que l'eau boue dans une casserole invisible (p.457) Rien ne se passe. On dévore les lignes en redoutant l'explosion qui va inévitablement se produire comme l'orage après un calme trop profond. Mais ce n'est pas exactement comme cela que les évènements vont s'enchainer. C'est drôle comme les gens ont des façons différentes de montrer leurs sentiments (p. 465) et je n'en dirai pas davantage. Le livre a déjà reçu un prix aux USA.
Lisez-le ! Offrez-le ! Vous ferez des heureux. Dépêchez de goûter ce bonheur littéraire avant que l'adaptation cinématographique ne vous en dissuade car c'est toujours plus commode d'aller au cinéma que d'ouvrir un livre.
Les anglophones pourront en apprendre davantage sur le site de l'auteur.
La couleur des sentiments de Kathryn Stockett, Editions Jacqueline Chambon,pour le compte des éditions Actes Sud, septembre 2010, 526 pages