Cela résonne comme un cri du cœur, bien plus comme un credo, et le premier appel a été entendu le mardi 16 novembre par une centaine de personnes alors qu’il n’y avait que 80 places prévues initialement.
Difficile de juger de prime abord si le public le public de l'Onde – Théâtre Centre d’art de Vélizy-Villacoublay (78) était venu par amour de la musique ou par gout pour le vin, à moins que ce ne fut par curiosité. François Théberge annonçait modestement une espèce de tentative de partage et de découverte sur différents axes reliant les métiers de jazzman et de vigneron, lesquels ont plusieurs points communs qui convergent par François qui les pratique tous les deux.
Il est depuis une dizaine d’années propriétaire d’une parcelle en Ardèche où il a planté des vignes et où il élève du vin, un Gamay très agréable qu’il nous a fait déguster au cours de la soirée.
François Théberge parle avec l’accent chantant. Pas celui du Sud où il s’est installé depuis une dizaine d’années. Celui du Nord, son pays d’origine qui est le Québec. Et sa passion résonne avec encore plus d’authenticité. François est arrivé en France pour honorer un contrat d’un an. Il est resté. Il a découvert un pays et ses vins. Ce qu’il pensait être jusque là une affaire de snobs est devenu une seconde passion … après la première qui reste le jazz.
Ce soir-là il est venu avec deux amis, un complice contrebassiste, et son voisin ardéchois viticulteur, Hervé Souhault. L’homme cultive ses terres en respectant l’environnement. C’est bien plus que de faire de l’agriculture biologique. C’est accompagner la vinification en l’observant pour produire des vins qui conjuguent harmonie, esthétique, architecture et pureté.
Quelques mots (habituels quand il est question de vins) n’ont jamais été prononcés de la soirée : cru et argent n’étaient pas de mise. L’objectif était de partager un beau moment et si le bouche à oreille fait son bon office il sera encore moins facile de trouver une chaise mardi prochain pour la seconde édition de la série de quatre.
Je vous laisse imaginer ce que ce sera pour la troisième puis la quatrième. Mais l’Onde est un espace qui a sans doute de la ressource en terme de place, même si l’auditorium est un lieu fort agréable pour une telle entreprise, ne serait-ce que parce que son acoustique est excellente.
Papilles, pupilles et oreilles furent réjouies.
Il y avait à voir. La complicité des musiciens, leur gestuelle, la connivence qui progressait entre eux et la salle … les éclats dorés du trombone, le mouvement de la coulisse qui a quelque chose de comparable à la gestuelle du matador, la transparence cramoisie des verres …
Il y avait à entendre. L’ascension dans les aigüs, la surprise des juxtapositions, la cueillette d’une super belle dernière note.
Il y avait à déguster. Loin de l’atmosphère lourde des foires aux vins. En toute modération (il ne faut pas l’oublier, voilà c’est dit). Le Pinot noir et le Chardonnay sont partout. Ils ont colonisé les vignobles comme les tourterelles turques ont envahi nos parcs et jardins publics. Il existe pourtant d’autres cépages.
Ainsi le Gamay offre une belle harmonie et une structure équilibrée entre légèreté et acidité. Il n’est pas conçu pour être consommé comme un vin nouveau. Pourtant celui que nous avons eu le privilège de boire n’avait que 15 jours et personne ne l’aurait critiqué. Et chacun savourait doublement puisque la date officielle des vins nouveaux est fixée au troisième jeudi de novembre, donc dans deux jours. Qu'on se rassure : les bouteilles qui ont été ouvertes ont été offertes. Car ce qui est interdit c'est la commercialisation du vin nouveau avant l'heure, mais pas sa dégustation.
Conçu pour gagner en caractère et se développer au fil des années, ce vin exhalait des arômes très fruités. On pourrait dire qu’aux vins biens nés la valeur n’attend pas le nombre des années. Ou plus sérieusement, comme l’écrivait Curnonsky : il a le goût de ce qu’il est …
Pour l’apprécier à sa vraie valeur, il est préférable de ne pas avoir d’attentes et de rester ouvert, sans a priori. Ce n’est pas un secret et c’est applicable au vin comme à la musique et aux rencontres.
Avec un vieux thème de la musique de la Nouvelle-Orléans François Théberge nous a placé en territoire familier et nous a préparé à tentativement goûter son Gamay à lui. Il le trouve rigolo, alors qu’il est plus sérieux qu’il n’y parait. Léger, bien évidemment puisqu’il est jeune, laissant de jolies coulures sur la paroi du verre, attestant sa teneur en glycérol, avec un support calcaire qui se laisse vite deviner et une douce saveur de réglisse en fin de bouche.
François Théberge ne jure que par les vins naturels. Il hait les sulfites quand ils sont rajoutés. Hervé Souhault explique son travail, uniquement avec des levures indigènes du raisin. Avec néanmoins une dose de soufre qu’il qualifie d’homéopathique avant la mise en bouteille et rien d‘autre.
La conversation entre les deux hommes est savoureuse. Il faut entendre François apostropher son ami d’une tirade difficilement interprétable pour nous autres néophytes comme : Du Merlot en Ardèche on est sur la lune Hervé ?
Le vigneron répond en spécialiste, pesant ses mots pour être juste. On devine que tout est question de mesure et d’harmonie, … comme au final en musique.
Le blues se fait angulaire, très beau, très lent, en si bémol. C’est Mistérioso de Thelonious Monk. On peut bien qualifier le duo de saxophone agricole et de trombone rural pourvu que ce soit avec tendresse. On aura tous compris qu’ériger la simplicité en credo est un art.
La prochaine édition de la série In vino musica est programmée le mardi 14 décembre. François Théberge invite ce soir là Catherine Breton, vigneronne de la Loire.
l'Onde - Théâtre et Centre d'Art, 8bis, av. Louis Breguet, 78140 Vélizy-Villacoublay
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