D’abord un constat, qui n’est pas un reproche,Xavier Beauvois s’est beaucoup inspiré de ce documentaire pour réaliser « Des hommes et des dieux » au succès quasi inter-planétaire . Personnellement je n’ai pas vraiment aimé ( voir ce blog ).La jaquette de présentation signée par le cinéaste en personne nous prévient bien que c’est « le documentaire de référence du film ». (1) Une approche « promotionnelle » comme une autre qui tombe comme une évidence au bout de quelques minutes. Des plans identiques, des cadrages très ressemblants et des dialogues repris mot pour mot, voilà pour le préambule.
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Car tout ceci n’est pas très important au regard d’une histoire vécue ici à travers le regard des proches, des voisins ou de quelques spécialistes de la question algérienne. Cette fois leurs témoignages me vont droit au cœur, et me situent parfaitement les enjeux de cette détermination humaine à ne pas vouloir quitter un pays qui n’est pas le leur.
La foi de ces hommes là, est déjà dans cette insistance à regarder le rebelle, celui qui va les tuer « comme le frère de la montagne » en opposition aux algériens pacifistes, les frères de la plaine. On sait que devant la montée de la violence, chaque soir autour du frère prieur, les moines de Tibhirine se posaient la question des raisons communautaires qui les incitaient à demeurer sur place.
Les réponses sont multiples et se cristallisent autour du fameux testament qui donne écho au titre de cet excellent documentaire. Trois ans avant d’être massacré, le frère prieur Christian écrit ce remarquable acte d’amour « s’il m’arrivait un jour (…) d’être victime du terrorisme ». Les phrases de cet écrit prémonitoire, et les réflexions du journal tenu par frère Christophe jalonnent le parcours de ce reportage, ponctué d’images d’archives sur le quotidien des moines dans leur monastère et de témoignages de leurs associés ,des agriculteurs algériens travaillant à leurs côtés.
Un voisin travaillant au jardin du monastère
Foin de l’enquête journalistique ou policière sur les auteurs du massacre, mais une approche méthodique de ce qui fait aimer l’homme. « Je nous sens vivant et libre de vivre » dit l’un des religieux, alors qu’un des chefs de la rébellion vient de se présenter, menaçant, à la porte du monastère. Et pourtant dira un autre « depuis qu’ils sont venus, je suis sans force ».
L’évêque d’Alger, Henri Tissier ,arrivé bien après les événements tente comme beaucoup d’intervenants de comprendre le message laissé par ces hommes de prière « solidaires avec les gens du village et avec l’église d’Algérie. S’ils n’avaient pas tenu, nous n’aurions pas tenu (…) Ils étaient face à eux-mêmes et leur présence était un refus de la violence».
Compléments DVD (environ 55 minutes)
Le testament. Bruno Frappat, journaliste
A la tête du journal La Croix lors de la parution du testament de Christian en 1996, Bruno Frappat revient sur ce « scoop spirituel », qu’il estime être « un des plus beaux textes du XXe siècle ». S’ensuit une lecture du testament.
L’islam, le pardon, par Pierre Lafitte, « frère des Frères », vivant à Alger
Analyse de la lettre de Christian, de son rapport à l’islam, mais aussi du thème du pardon.
Emmanuel Audrain, le réalisateur
Chrétiens, musulmans, quelle réciprocité ?, par Jacques Julliard
Le journaliste revient sur le témoignage des moines, qu’il refuse de considérer comme des martyrs. Il évoque également l’identité algérienne, et le développement de l’islam dans le monde. « L’un de leurs messages est d’avoir révélé l’Algérie à elle-même. Il n’y a de religion que dans la liberté ».
Le risque et l’engagement, par Henri Teissier
Evêque d’Alger de 1988 à 2008, Henri Teissier raconte la période extrêmement tendue des années 90 en Algérie, et revient sur l’attachement des religieux au peuple algérien.
Un jeune « beur » à Tibhirine, par Rachid et Annick Bouzit
Habitant de Tibhirine, il évoque sa rencontre avec les moines, comment ils ont changé sa vie, et lui ont permis de « grandir humainement ».
-La démarche spirituelle de non-violence, par Jean-Marie Muller, écrivain
Ce spécialiste de Gandhi, et de la non-violence, renvient sur le rapport des moines aux armes et à la brutalité des intégristes. Il évoque notamment le refus de Christian d’obéir aux ordres des islamistes.
Hypothèses à propos de la mort des moines, par John W. Kiser, écrivain
Auteur de l’enquête « Passion pour l’Algérie, les moines de Tibhirine », John Kiser explique les raisons du non-départ des moines, notamment l’attachement à la population locale, généralement rare chez les moines trappistes. Il évoque aussi l’enlèvement des religieux.
« Merci à « nos » moines », par les voisins de Tibhirine
Les habitants de Tibhirine, gardent un souvenir émouvant des moines. Ils en parlent avec une simplicité qui devait être celle de leurs amis français.
(1) C’est en 2007, après avoir vu le documentaire d’Emmanuel Audrain que le scénariste Étienne Comar proposera à Xavier Beauvois de réaliser un film sur les moines de Tibhirine.