Suite aux articles publiés par François Loncle et Marc-Antoine Jamet, j'ai reçu ce texte d'un étudiant ivoirien, Oulai Bertrand Goué, vivant en France mais en lien direct avec son pays. Son éclairage est plus qu'intéressant.
«Laurent Gbagbo n'est porté ni par une légitimité populaire ni par une légalité constitutionnelle. Alors qu'une importante majorité d'Ivoiriens a désigné Alassane Ouattara comme Président de la République, avec 54,10% des voix, Laurent Gbagbo compte sur le soutien de certains officiers de l'armée pour imposer un pouvoir illégitime et illégal.
Le Conseil constitutionnel, en annulant le vote d'environ 600 000 électeurs répartis dans sept départements de Côte d'Ivoire (soit 13% des suffrages exprimés) a fait preuve d'une profonde injustice et a renforcé l'idée à l'origine de la crise sociopolitique; idée selon laquelle il existe deux classes d'Ivoiriens : ceux qui ont le droit de vote et ceux qui ont l'obligation de vote. Le Professeur de Droit et Président du Conseil constitutionnel a décidé de baillonner la volonté de démocratie de tout une partie de la population ivoirienne là où le droit lui donnait la possibilité de faire reprendre les élections si tant est que des irrégularités ont été constatées ; lesquelles ont été contestées par le camp de La majorité Présidentielle du candidat sortant Laurent Gbagbo.
La portée d'une telle décision est infiniment importante pour le peuple de Côte d'Ivoire lorsque l'on se rappelle le caractère décisif de cette élection qui a pour but de régler le problème de la crise identitaire fortement ressentie par nos compatriotes du Nord du pays. L'enjeu de ce scrutin c'était aussi de rassembler les Ivoiriens, dire aux uns et aux autres que dans la nouvelle Côte d'Ivoire que nous construisons, tous comptent autant les uns que les autres.
Il nous a semblé que c'était cela l'objectif des 1.500 soldats des Forces Armées de Côte d'Ivoire déployés dans la partie Nord du pays : sécuriser le deuxième tour de l'élection dans le but d'éviter la fraude et permettre que les résultats qui seront proclamés soient acceptés par toutes les parties. Qu'est-il advenu du mandat de ces soldats payés par le contribuable ivoirien ? Comment expliquer que nos militaires n'aient pu protéger le scrutin et que des irrégularités et violences aient pu avoir lieu au point ou Yao N`dré et le Conseil constitutionnel aient décidé d'annuler le vote de tous ces Ivoiriens ?
En fait de « graves irrégularités qui auraient entaché la sincérité du scrutin », il n'en est rien. Ou du moins les irrégularités constatées n'ont pu de par leur ampleur empêcher l'expression du choix des Ivoiriens. Comme au Nord, quelques violences ont été constatées, avec regret, dans le Sud mais sans que le vote n'ait pour autant été annulé dans cette partie du pays. Parlant des violences, Young-Jin Choi, Le représentant du Secrétaire général et Chef de l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) indique avoir demandé au commissaire de police de l'ONUCI de collecter les rapports sur les violences le jour de l'élection et qu'il en ressort que « sans aucune incertitude, il y a eu moins d'actes de violence au Nord qu'à l'Ouest. » Encore une fois pourquoi le vote à l'Ouest du pays n'a-t-il pas été soumis à la logique du Conseil constitutionnel de Yao N'dré ?
Maintenant supposons que l'ONU soit le méchant «machin» que les Occidentaux et notamment notre meilleur ennemi la France ont mis en place en vue de déposséder les Ivoiriens de toutes leurs richesses sur toute l'étendue du territoire national. Comment expliquer que dans leurs rapports, certains Préfets de l'Etat de Côte d'Ivoire et notamment ceux des Savanes, de la Vallée du Bandama et du Worodougou n'aient indiqué aucune violence majeure tendant à influencer le choix des électeurs le jour du scrutin ? Ces préfets vont même plus loin lorsque lors d'une conférence de presse post-élection (le 8 Décembre 2010), ils disent « seulement réaffirmer aux yeux du monde et de nos compatriotes que les élections se sont bien déroulées dans nos circonscriptions comme l’attestent les différents rapports à la hiérarchie et publiés dans la presse. » Il ne s'agit donc pas de fraudes et d'irrégularités comme à la base de la décision du Conseil constitutionnel de Yao N'dré, mais bien d'une manœuvre tendant à confisquer le pouvoir.
Et même lorsque l'on fait un retour en arrière pour observer la célérité exceptionnelle avec laquelle le Conseil constitutionnel de Yao N'drée s'est saisi de la proclamation des résultats de l'élection au motif que la Commission Electorale Indépendante (CEI) aurait été au-delà du délai de trois jours à elle imparti, on est amusé du manque de logique des animateurs de cette institution. Car en réalité, les résultats du premier tour de l'élection ont été proclamés par cette même CEI bien au-delà du délai imparti sans que le Conseil constitutionnel de Yao N'dré ne s'en émeuve.
Mais la question qui mérite d'être posée à notre sens c'est de savoir comment Laurent Gbagbo, au nom du démocrate qu'il prétend être peut-il justifier son coup de force et s'arcbouter sur le fait qu'il ait, lui, décidé de « suivre le droit et ses procédures subséquentes », en portant simplement réclamation auprès du Conseil constitutionnel de Yao N'dré alors que son adversaire aurait été passif, ignorant des procédures légales ?
La manœuvre est trop facile et nous amène à penser que, pour peu, Yao N'drée aurait fait annuler le vote dans le Nord du pays s'il était advenu une pluie le jour du scrutin. Laurent Gbagbo sait que l'investiture ou plus exactement cette mascarade qui tient lieu d'investiture ne se fonde sur aucune légitimité issue du scrutin mais qu'elle n'est que pure invention et la manifestation d'un dictateur qui se révèle sur le tard.
Il y a aussi le fétichisme qu'une frange d'Ivoiriens voue au Conseil constitutionnel arguant que cette institution est le dernier recours et que sa décision est irrévocable et que si jamais Laurent Gbagbo n'était pas en fonction les Dieux nous tomberaient sur la tête. Soit. Mais que se passe-t-il si le Conseil constitutionnel ne respecte pas la Constitution de l'Etat de Côte-d'Ivoire qui dans son préambule indique que le peuple de Côte-d'Ivoire est « profondément attaché à la légalité constitutionnelle et aux institutions démocratiques » et qui dans son article 30 poursuit : « La République de Côte d'Ivoire est une et indivisible, laïque, démocratique et sociale. » Or dans le cas d'espèce, nous avons affaire à un déni de démocratie et donc les institutions qui sont prétendument représentées notamment celle du Président de la République sont mort-nées. On peut dire que l'acte d'investiture est réputé n'avoir jamais eu lieu parce que basé sur aucun fondement démocratique. Il est réputé n'avoir jamais été constitué.
Rappelons-nous un instant au fait pour une personne majeure de signer un contrat avec une personne mineure. Ce contrat serait qualifié de nul et nul effet parce qu'en violation du droit des contrats ; il serait dit n'avoir jamais été constitué. Si être Président de la République c'est signer un contrat avec une majorité des électeurs, Laurent Gbagbo n'a signé de contrat qu'avec lui-même ou à tout le moins qu'avec une minorité d'Ivoiriens qu'il veut imposer à une majorité. Laurent Gbagbo s'est autoproclamé Chef de l'Etat par le fait d'un acte de dictateur, avec la bénédiction de certains officiers de l'Armée qui se sont écartés de leur rôle de garant du caractère républicain de cette institution. Mais le fait est qu'en Côte-d'Ivoire il n'y a qu'un seul Président de la République, celui des urnes, et c'est Alassane Ouattara.
Oulai Bertrand Goué est Doctorant en Science de l'information, Diplômé de Science politique et de Commerce international
oulaibertrandgoue@gmail.com