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Prières sur la chaussée, politiques à la rue

Publié le 12 décembre 2010 par Variae

Marine Le Pen a beau rompre avec un certain nombre de tropismes du FN de son père, elle n'en conserve pas moins le sens de la formule scandaleuse qui polarise l'attention et crée instantanément le débat médiatique. " Il y a quinze ans on a eu le voile, il y avait de plus en plus de voiles. Puis il y a eu la burqa, il y a eu de plus en plus de burqa. Et puis il y a eu des prières sur la voie publique [...] maintenant il y a dix ou quinze endroits où de manière régulière un certain nombre de personnes viennent pour accaparer les territoires [...] s'il s'agit de parler d'occupation, on pourrait en parler, pour le coup, parce que ça c'est une occupation du territoire [...] Certes y'a pas de blindés, y'a pas de soldats, mais c'est une occupation tout de même et elle pèse sur les habitants ". Propos tenus lors d'un meeting vendredi soir, puis confirmés à l'AFP le lendemain : " un certain nombre de territoires, de plus en plus nombreux, sont soumis à des lois religieuses qui se substituent aux lois de la République. Oui, il y a occupation et il y a occupation illégale. ".

Prières sur la chaussée, politiques à la rue

Il faut bien lire ce que dit la peut-être future présidente du FN. Son propos se compose de deux parties distinctes : une affirmation factuelle, bien que vague (" dix ou quinze endroits ", " un certain nombre ", " de plus en plus nombreux "), sur la pratique de la prière sur la voie publique par des Musulmans en France ; une comparaison, dans un deuxième temps, avec une occupation militaire, et plus précisément (dans le discours de vendredi) avec la Seconde Guerre mondiale. Si la première partie appelle un traitement rationnel (y a-t-il oui ou non multiplication de prières " sauvages " dans la rue, pour quelle raison, que faut-il en penser, etc.), la seconde vise au contraire à faire dérailler le débat et à partir dans l'outrance et la polémique. Il n'y a de fait rien à dire d'intéressant de la comparaison avec l'occupation allemande ; comme les saillies qui ont fait la réputation de Frédéric Lefebvre, cette comparaison a pour unique fonction d'attirer l'attention sur la prise de parole de Marine Le Pen, et de déclencher un concert de condamnations outrées qui désignent d'une part la conseillère régionale comme la seule opposante à la classe politique traditionnelle, et qui d'autre part évitent de s'interroger sur la partie factuelle de la déclaration - la seule, pourtant, qui compte. Il est fondamentalement inutile et contre-productif de s'indigner d'une comparaison bouffonne et godwinesque, qui tire même sa légitimité des condamnations solennelles qu'elle génère ; il est en revanche fondamental de répondre à l'affirmation factuelle à laquelle elle fait écran. Et c'est ici que le bât blesse terriblement, dans les réactions des autres responsables politiques.

Ces réactions, pour ce dont la presse et l'AFP rendent compte, sont édifiantes. Une seule personne - Patrick Menucci - répond directement à la question de la prière dans la rue, en expliquant comment, dans le cas marseillais qu'il connaît bien, elle est la conséquence d'un manque évident de mosquées eu égard au nombre de Musulmans. Partout ailleurs, c'est un concours d'indignations vertueuses qui prévaut, avec un degré de vague, d'approximation et d'appel à l'histoire qui fait parfaitement écho à la seconde partie du propos de Marine Le Pen (comme elle le cherchait sans doute). " Vrai visage de l'extrême droite française " pour Benoit Hamon, volonté d'attiser " les peurs et les haines " et d'utiliser " les ressorts racistes ", " l'irrationnel haineux et la crainte de l'invasion " pour Cécile Duflot, " discours fascisant, raciste et négationniste " habituel du FN pour Pierre Laurent ; Martine Aubry est " choquée ", et Jean-François Copé se fait généalogiste : " Marine Le Pen, c'est son père! Il faut arrêter de se mentir, c'est exactement la même personnalité que celle de son père ".

Toutes ces interventions - pour autant qu'elles n'ont pas été tronquées, ce qui est toujours possible - ont un point commun : elles ne se prononcent pas sur le fait même de la prière dans la rue. Ce faisant, elles accréditent implicitement l'idée qu'il s'agit d'un phénomène répandu (ou du moins suffisamment important pour devenir un objet politique), mais dont la simple discussion est taboue. Pire encore, en opposant ensuite à la comparaison sur l'occupation le fait que les " grands-parents " (sic) de ces pratiquants ont libéré la France pendant que les prédécesseurs du FN se perdaient dans la collaboration, ils donnent le sentiment de justifier et défendre cette prière de rue, alors même que des élus de gauche directement concernés, comme Daniel Vaillant, reconnaissent sa nature problématique - pour l'espace public comme pour les Musulmans eux-mêmes - et cherchent à y apporter des solutions. On laissera de côté, enfin, les amalgames douteux qui surgissent maladroitement dans ces prises de position, Musulmans, Arabes, tirailleurs sénégalais d'hier et d'aujourd'hui ne semblant plus constituer qu'une seule grande famille indifférenciée dans la stigmatisation des uns et la commisération des autres.

Que ressort-il de cette cacophonie, au bout du compte, pour l'électeur peu informé écoutant les échanges ? Que dans " certains endroits ", on occupe la rue pour prier ; que personne ne nie ni ne questionne l'ampleur du problème ; mais qu'en revanche il n'est pas vraiment possible d'en discuter, son évocation par Marine Le Pen déclenchant un haro général contre le " racisme " et le " retour de la bête immonde ". Comme si on ne pouvait être rétif à des manifestations religieuses sur la voie publique, sans être islamophobe. Comme si tout cela était normal et acceptable, mais sans pour autant prendre la peine de l'expliquer et de le démontrer. La fille de son père a tendu un piège grossier dans lequel ses adversaires ont sauté à pieds-joints, commentant l'insignifiant, laissant de côté l'essentiel, et lui donnant un énorme écho.

L'attitude brouillonne et fébrile de la classe politique face à Marine Le Pen rappelle un peu celle de la gauche face à Nicolas Sarkozy sur la sécurité. Face à ces stratégies de provocation et d'occupation du terrain médiatique, il est essentiel de refuser la polémique et de revenir à la sobriété des faits. Les échecs sur le long terme de Nicolas Sarkozy en matière d'insécurité, démontrés notamment par les chiffres des violences envers les personnes, sont plus parlants que toutes les comparaisons que l'on pourra faire avec Vichy. De même, il est fondamental d'aller chercher Marine Le Pen sur le terrain de la vérification de ses affirmations-choc, qui sont souvent fausses ou lacunaires ( elle a ainsi affirmé que la fabrication de nourriture halal est réservée aux Musulmans). En l'occurrence, il aurait été très utile de discuter sérieusement du fond de la question, de souligner que l'on parle quand même d'un micro-phénomène, de réaffirmer quelques principes simples sur la neutralité de l'espace public, pour ne pas laisser la laïcité au FN, et de pointer le manque de lieux de culte - rappel qui dégonfle facilement les accusations d'occupation volontaire. Mais de cela il n'a pas, ou trop peu, été question. Combien de points l'héritière de son père a-t-elle encore marqués dans l'opinion ?

Romain Pigenel


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